Accueil » Christophe Moreau : « Me souvenir des belles choses »

Surnommé le « Grand » par ses coéquipiers, Christophe Moreau fait partie des coureurs à avoir marqué de leur empreinte le cyclisme français. Avec une 4e place lors du Tour de France 2000 et sa victoire sur le prologue à Dunkerque en 2001, Moreau aura réussi à faire rêver tous les suiveurs de la Grande Boucle. Aujourd’hui, sa reconversion montre que la passion est quelque chose qui colle à la peau.

Porteur du maillot jaune et au pied du podium du Tour de France, champion de France, vainqueur de nombreuses courses à étapes dont deux Critériums du Dauphiné. Le palmarès de Christophe Moreau a de quoi faire jalouser de nombreux cyclistes professionnels. Il comptabilise 15 Tours disputés dans des équipes françaises telles que le Crédit Agricole, la Caisse d’Épargne ou encore l’équipe Festina-Lotus. C’est avec cette dernière qu’il vivra, en 1998, l’affaire « Festina », l’excluant du Tour de France avec tous ses coéquipiers et lui vaudra une suspension de six mois. Christophe Moreau a mis un terme à sa carrière de cycliste professionnel en 2010. Il a ensuite été consultant pour Eurosport en 2011 et a toujours continué de baigner dans le monde du cyclisme. Depuis avril, il travaille avec l’équipe de Nationale 1 Philippe Wagner Cycling en tant que manager général. Le franco-suisse de 51 ans s’est entretenu avec nous entre autres sur sa carrière et le cyclisme actuel.

Si tu devais écrire une définition dans le dictionnaire à côté de « Christophe Moreau », que dirais-tu ?

Christophe Moreau : Coureur cycliste de 1995 à 2010, spécialiste des courses à étapes qui a été maillot jaune. Quatrième du Tour de France, vainqueur du Critérium du Dauphiné, des 4 Jours de Dunkerque, du Tour du Poitou-Charentes et un titre de Champion de France. Un coureur qui aurait pu encore s’exprimer différemment s’il n’avait pas connu l’année 1998, l’affaire « Festina » et les années sombres d’Armstrong.

Quels sont tes meilleurs souvenirs en tant que cycliste professionnel ?

C.M : Il y en a plusieurs. Je retiens mon passage chez les professionnels, chez Festina, avec ce groupe de copains autour de Richard Virenque, sans parler de l’affaire bien-sûr. Ce sont des amis avec qui, même 24 ans après, on garde une amitié forte. Après, des grands moments, c’est le jaune, le titre de champion de France, la 4e place du Tour, ce sont des moments exceptionnels. Remporter aussi deux Critériums du Dauphiné qui représentent beaucoup.

Comment as-tu vécu ta 4e place lors du Tour de France 2000, à seulement 30 secondes de ton coéquipier Joseba Beloki ?

C.M : C’était presque inattendu. Je savais que je pouvais bien faire, que j’étais bien en montagne, que je faisais des bons chronos, mais de là à jouer le podium… C’est vrai qu’à 30 secondes près, tu es quatrième, tu n’es pas sur la boite avec la photo de l’Arc de Triomphe dans le dos. Après coup, ce sont des petits regrets où tu te dis « si je n’avais pas glissé dans la descente de Joux Plane, si j’avais été un petit peu mieux dans le Ventoux, je pense que ça passait ». J’étais tellement content à l’époque, parce que c’était une performance pour moi. Après, la désillusion, c’est que j’ai toujours cru que j’aurais pu faire mieux après, mais ça n’a jamais été le cas. Je n’ai jamais pu retoucher de près au podium.

En 2000, Christophe Moreau a failli finir sur le podium du Tour de France

Trouves-tu dans le peloton actuel un coureur qui te ressemble et si oui, lequel ?

C.M : Wout Van Aert m’impressionne parce que c’est un grand gabarit, capable de rouler, capable de faire le coéquipier, capable de grimper, capable de faire un bon chrono. Peut-être ce côté généreux, c’est-à dire quand j’étais coéquipier de Virenque, on m’appelait le « Grand ». C’est resté mon surnom, j’ai toujours été généreux, dévoué dans mes efforts, même quand j’étais coéquipier, j’ai constamment donné jusqu’à la dernière goutte de sueur. C’est vrai que je retrouve chez Wout Van Aert, cette grandeur de champion. Je pense que je n’étais pas à sa hauteur, mais c’est aussi un grand cœur.

Le regard des gens et du peloton sur ton équipe après l’affaire Festina en 1998 a-t-il été difficile à vivre ?

C.M : Dans un premier temps, on était les pestiférés, puis il y a eu un revirement de situation où nous étions presque soutenus. C’était un passage compliqué, mais il faut se dire que les sanctions avaient été prises et que l’on méritait tous une chance dans la vie, que ce soit dans le sport ou dans la vie de tous les jours. Finalement, en 1999, je suis revenu toujours avec la même équipe, car il faut savoir que si Festina ne m’avait pas donné l’opportunité de continuer, en 1999, ma carrière se serait arrêtée. Je n’avais pas d’autres propositions de contrats. Après des mois de suspension, on a la chance de continuer. Moi, j’ai surtout la chance de voler de mes propres ailes, de rouler pour moi, de redevenir leader.

Lors du dernier Tour de France, on a pu voir un certain malaise des suiveurs face aux performances de quelques coureurs. Que penses-tu de cela ?

C.M : En cyclisme, on a toujours l’épée de Damoclès sur la performance. Dès qu’on a un coureur ou une équipe qui domine, il y a cette suspicion qui subsiste. C’est très embêtant, sachant qu’il faut le répéter et le souligner, les coureurs et les équipes cyclistes sont soumises à des systèmes de localisation et de suivi des coureurs pour des contrôles inopinés, sanguins, urinaires. Aujourd’hui, pour pouvoir passer entre les mailles du filet, je ne sais pas comment on peut faire. Maintenant, quand vous avez une équipe comme la Jumbo-Visma qui gagne, c’est vrai qu’il y a toujours des questions qui se posent. Je fais confiance au système de contrôle antidopage, à l’UCI et à l’agence mondiale antidopage. Pour dire qu’on peut se prévaloir d’avoir des performances propres et se dire que peut-être, la différence se fait sur d’autres paramètres.

Sur le Tour Alsace, Christophe Moreau a pris le temps d'échanger avec Stéphane Rossetto

« Quand j’étais coéquipier de Virenque, on m’appelait le Grand »

Quelles évolutions constates-tu dans le cyclisme moderne par rapport à l’époque où tu étais encore coureur ?

C.M : La grosse différence, elle est de prime abord sur le matériel. Ensuite, sur la diététique, on touche très loin les parties autant énergétiques avant et après l’effort. Les modes de récupération qui sont utilisés avec des aliments qui sont certainement pesés au gramme près. Les reconnaissances du parcours qui sont faites en vidéo, l’interprétation d’énormément d’informations sur les watts, les pulsations, la vitesse, la moyenne, etc. En bref, des paramètres qui sont extrêmement denses et nombreux. On va chercher la performance partout, je suis convaincu que la Jumbo va chercher encore plus loin que les équipes, notamment françaises. Tous ces micro-détails cumulés, à la fin, ça fait la différence.

À l’image de Romain Bardet ou de Thibaut Pinot, des Français ne sont pas passés loin de remporter un grand tour. Selon toi, que manque-t-il aux Français et aux équipes tricolores pour remporter un grand tour ?

C.M : On a deux cas. Romain Bardet est parti dans une équipe étrangère, il marche bien, mais pas mieux. Thibaut Pinot marche bien, mais pas mieux et il est en France. Donc finalement, il y a quand même des choses qui sont plus poussées dans certaines équipes. Et puis attention, on a aussi des Bardet et des Pinot qui sont aujourd’hui vieillissants, qui ont fait des podiums sur le Tour de France. Je peux vous le dire en connaissance de cause, on est forcément à un moment donné un petit peu moins performant. Par ailleurs, la pression mentale, les médias, les supporters. Vous êtes français, c’est le Tour, ça fait 37 ans qu’un Français n’a plus gagné cette course. On peut espérer un Romain Grégoire dans quelques années, mais c’est vrai que pour la victoire du Tour, il va falloir encore patienter un peu.

En 2001, tu as porté le maillot jaune pendant 2 jours sur ton tour national, qui plus est la plus grande course cycliste au monde. Qu’as-tu ressenti à ce moment-là ?

C.M : Je savais que j’étais capable de faire une bonne performance, car j’avais toujours fait de très bons prologues. Je venais de gagner le Dauphiné, mais de là à performer de cette façon, surtout quand vous partez quatrième de la fin parce que c’est le classement du précédent. Quand il restait Lance Armstrong, j’étais déjà content de faire deuxième, c’était une victoire. Puis finalement, je suis devant. C’était un tourbillon, tu te prends des micros et des caméras dans la figure. Tu ne te rends pas bien compte, tu ne réalises pas tout de suite. C’est seulement le lendemain, en jaune au départ, où là, tu es passé d’un homme à un surhomme, une star. Il n’y en a que pour toi. C’est un monde à part d’être en jaune.

Directeur général de la N1 Philippe Wagner Cycling, Christophe Moreau se reconvertit

Tu es manager général de l’équipe Philippe Wagner Cycling, actuellement en Nationale 1. Comment se passe cette expérience et quel est ton rôle au sein de cette équipe ?

C.M : Au départ, j’étais rentré comme coordinateur partenariat. Depuis le 2 avril, je suis le manager général. On est en Division Nationale 1. et nous avons pour projet de passer en Continental Pro en 2024. Je travaille la gestion des budgets, la gestion avec les équipementiers, les recrutements, les questions de mental, etc. Je dois gérer les coureurs, je leur apporte de l’aide pour les soutenir et les manager. Il est clair qu’on va construire cette équipe, on va la faire grandir encore et puis on va déposer un dossier avant le 30 juin pour être pro en 2024. C’est vraiment génial, moi qui fais partie de ce milieu depuis deux ans, je vois les yeux qui brillent chez tout le monde quand je raconte mon histoire, et moi aussi, j’ai les yeux qui brillent, parce que tout le monde voit que je prends du plaisir.

Si tu pouvais modifier quelque chose de ta carrière, que changerais-tu ?

C.M : L’affaire Festina. Si on avait supprimé Festina et Armstrong, peut-être qu’on aurait été plus à la loyale pour aller chercher une victoire ou même un ou plusieurs podiums sur le Tour. J’aurais aimé avoir un cyclisme sage et propre par rapport à ce que c’était à cette époque. Si j’avais fait du vélo à partir de 2007, ç’aurait été parfait finalement. Aujourd’hui, je tiens à me souvenir des belles choses, les belles victoires, les belles rencontres. Donc, je suis très heureux de tout ce que j’ai fait, je ne regrette rien.

As-tu des rêves que tu n’as pas encore réalisés ?

C.M : Mon rêve serait que Philippe Wagner Cycling aille sur le Tour de France et qu’un de nos coureurs prenne le maillot jaune. C’est mon souhait le plus grand que je me fixe jusqu’à mes 65 ans. J’ai 15 ans de ma vie devant moi pour tout donner pour cette équipe et puis, qu’on aille sur le Tour, qu’on gagne une étape et qu’on prenne le maillot jaune. On verra si on est capables d’aller au bout de nos rêves.

Crédits photos : RFJ, Ouest-France, Maurice Kloetzlen et Philippe Wagner Cycling

Arnaud Fischer – 30 août

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