Accueil » Dans l’oeil de Sébastien Boué

Si vous lisez le journal L’Équipe ou que vous suivez leur compte sur les réseaux sociaux, vous avez forcément déjà vu l’une de ses photographies. Sébastien Boué est photo-reporter pour l’Équipe depuis six ans. 13 ans si l’on compte ses 7 années en indépendant avec pour principal client le quotidien sportif. Il nous a accordé une interview depuis Lisbonne où il a couvert la Ligue des Champions.

En 2 mots : Sébastien Boué est passionné de sport depuis son plus jeune âge. Sa vocation pour le photo-reportage sportif naquit après un meeting d’athlétisme à Strasbourg. À la suite d’un BTS en photographie et de quelques années en agence, il devient pigiste indépendant avec pour principal client le journal L’Équipe. Il entre dans leur staff photo 7 ans après.

Pour les Reporters Incrédules, il est revenu sur son parcours, son travail et s’est confié sur sa vision du journalisme actuel

Avant de vouloir devenir photographe sportif, vous souhaitiez être prof d’EPS. D’où vous vient cette passion pour le sport ?

Sébastien Boué : C’est quelque chose que j’ai toujours pratiqué depuis tout petit. Mes parents sont eux-mêmes assez sportifs donc ils m’ont fait pratiquer le sport dès mon plus jeune âge. J’ai touché à beaucoup de sports et habitant à la campagne, j’occupais comme ça mon temps libre.

Vous avez découvert votre vocation pour le photo-journalisme sportif lors d’un meeting d’athlétisme à Strasbourg mais pratiquiez-vous la photo déjà auparavant ?

S.B : Enfant, j’avais toujours un appareil photo sur moi. Surtout pendant les vacances. Alors c’étaient des appareils à pellicule, souvent des appareils jetables d’ailleurs. Mes parents avaient un reflex que je n’avais pas le droit de toucher car j’étais trop jeune mais qui m’a toujours fasciné. Puis j’ai eu mon premier compact. La photo, j’ai toujours aimé faire ça mais je ne pensais pas en faire un métier. La photo, je la réservais aux vacances pour mémoriser un moment. Pour moi, le photographe pro on allait juste chez lui pour faire les photos d’identités mais ce n’était pas quelqu’un qui travaillait dans la presse.

On dit souvent que dans le domaine de la photo, les études ne sont pas obligatoires. Qu’avez-vous pensé des vôtres et vous servent t’elles dans votre quotidien ?

S.B : Ce n’est pas complètement faux. Moi j’ai fait un BTS photo mais ce n’est pas spécialement là que j’ai appris à faire des photos. Ça m’a permis de faire des stages. C’est ce qui m’a permis de percer dans le métier, de rencontrer des gens, de montrer que j’étais sur le marché et que j’étais motivé. Les études en elles-mêmes, c’est plus de la physique, de la chimie, de la sensitométrie donc ça ne me sert pas trop dans mon quotidien. Cependant, cela m’a donné de la rigueur. Je ne sais pas si c’est mon côté scientifique, mon côté alsacien ou le fait que mes parents soient militaires mais je suis assez carré. Je pense qu’avoir de la rigueur et de la méthodologie pour mon travail c’est important. Il faut toujours essayer de s’améliorer, de comprendre pourquoi on a échoué et de raisonner.

Comment êtes-vous arrivé au sein du staff photo de l’Équipe ?

S.B : J’ai commencé par faire 1 an et demi en indépendant qui galérait. Puis j’étais au bon endroit au bon moment et je me suis fait embaucher par l’agence FEP. J’ai pu y faire mes armes et apprendre le métier. J’ai aussi rencontré les gens de l’Équipe qui m’ont proposé de venir travailler pour le journal dans le Sud. J’y suis allé et ai démissionné après deux ans à l’agence. Je suis donc parti dans le Sud de la France en me mettant à mon compte et ça a duré 7 ans. Jusqu’en 2014 j’étais pigiste donc même si mon client principal était L’Équipe, je travaillais pour d’autres agences et magazines. J’ai aussi travaillé pour des équipes cyclistes et des athlètes. Puis L’Équipe m’a embauché à plein temps car un poste s’était libéré en photo.

Quels sont les boitiers et objectifs que vous utilisez actuellement ?

S.B : Je suis équipé en Canon. J’ai des boitiers Reflex, des DX. Actuellement je passe en configuration hybride avec le R5. Au niveau des objectifs, j’ai accès à toute la gamme Canon donc en fonction du sport et de l’événement, je prends l’optique qui convient le mieux. Petit privilège de L’Équipe.

Comme la plupart des photographes, retouchez-vous vos photos après la prise ?

S.B : Absolument pas ! Je les envoie en direct depuis le terrain. Mon boitier est connecté en wifi et j’envoie directement en appuyant sur une touche de mon appareil. Ça ne transite même pas par un ordinateur donc il n’y a ni recadrage, ni retouche, ça part directement au journal. Ce sont les gens au journal qui vont s’occuper de la recadrer s’ils décident de la publier. On a ordre d’envoyer les photos brutes pour laisser le directeur artistique et les maquettistes faire comme ils le souhaitent. Ça nous permet également d’aller plus vite ! Sur un match, je dois faire environ 4000 photos pour en envoyer finalement 150. Je couvre le départ du bus, les entraînements, les échauffements et le match. J’ai également un boitier télécommandé derrière le but que je déclenche avec un système radio depuis une pédale au pied. Lors de cette Ligue des Champions, j’ai également la fin des matchs et le retour des joueurs à l’hôtel avec les supporters pour les succès des clubs français.

“Il faut toujours essayer de s’améliorer”

Vous êtes depuis peu père, les contraintes du milieu journalistique et la vie de famille sont-elles compatibles selon vous ?

S.B : C’est une question que je me suis toujours beaucoup posé. C’est vrai que si je suis papa depuis seulement 2 mois, c’est que j’y ai beaucoup réfléchi. J’ai tranché et je pense que oui, c’est possible. C’est vrai qu’il vaut mieux rencontrer une personne qui accepte mon rythme de vie assez particulier. Ne pas voir la famille pendant un long moment lors des déplacements, c’est dur pour eux et pour moi mais c’est important de gagner sa vie. Moi je fais un métier qui me plaît et c’est une chance alors même s’il y a des concessions à faire. L’important c’est d’être bien avec la personne avec laquelle on vit et qui accepte notre rythme de vie. Je m’absente parfois quelques semaines mais j’ai des repos pour compenser. Après vu la période de confinement que nous venons de vivre, tout le staff fait un effort pour se rendre disponible.

En parlant de la situation sanitaire actuelle et du confinement, comment cela vous a impacté professionnellement ?

S.B : Pendant le confinement, L’Équipe a continué de sortir quotidiennement. Au début, on bossait un jour par semaine, au bout d’un mois 2 jours par semaine puis 3 jours par semaine. Pendant cette période, on a fait beaucoup de portraits d’anciens sportifs travaillant à l’hôpital. On est parti sur une journée faire un sujet chez Renaud Lavillenie qui a un sautoir dans son jardin et qui continuait de s’entrainer. On est allé voir la boxeuse Maïva Hamadouche qui s’entraînait dans son garage. Il y avait toujours des petites choses à faire, surtout qu’au début on ne savait pas si les JO allaient être maintenus ou non donc les sportifs continuaient à s’entraîner. Je trouve que pendant cette période, même si la pagination a été réduite, le journal était très intéressant. On traitait le sport de manière assez décalée et ça permettait aux gens de s’aérer un peu l’esprit. Ce qui est valable un peu tous les autres jours de l’année aussi. Ouvrir L’Équipe c’est se divertir, se retrouver dans sa passion du sport et passer un bon moment. C’est moins anxiogène que lire des sujets sur la politique ou sur des guerres par exemple. On ressent encore la crise sanitaire actuellement comme aux abords des terrains ou normalement on est 150 photographes contre 10 actuellement.

Observez-vous des différences entre le journalisme d’y a 10 ans et celui actuel ?

S.B : Oui bien sûr. On le voit évoluer et on ne sait pas trop comment s’y prendre d’ailleurs. Internet prend une place très importante par rapport au papier. On n’a toujours pas trouvé de solution viable parce qu’on est trop habitués à avoir de l’info gratuite. Sur internet, les gens viennent, se connectent, vont sur L’Équipe mais sans forcément prendre d’abonnements. Ils se contentent de la version gratuite avec les contenus allégés et ne font pas le pas de prendre la version payante avec toutes les vidéos et des reportages en plus, même si ce n’est que quelques euros par mois. Ils n’ont pas encore cette habitude alors qu’avant ils achetaient le journal et ça allait. Aujourd’hui, c’est plus compliqué. Après, il y a aussi les réseaux sociaux qui n’existaient pas avant.

Penser vous qu’un jeune passionné de photo, de journalisme et de sport puisse se lancer dans ce métier de manière viable ?

S.B : Oui, enfin je l’espère. Après c’est quelque chose que j’ai toujours entendu quand j’ai débuté, que c’est un métier compliqué en termes d’accès, etc. Effectivement j’ai toujours vu les choses décliner mais j’espère qu’il y aura toujours des journalistes car c’est important. Sinon on n’a plus les vraies infos. S’il n’y a plus de journalistes qui font un travail de fond, il y a pleins de choses qui ne seraient jamais révélées. Je pense et j’espère que dans le sport comme ailleurs, il y a toujours des journalistes. Tant qu’il y a un avenir dans le journalisme, il y aura des journalistes mais c’est clair qu’il y aura des adaptations. Il y aura des effectifs réduits et surement des gens plus polyvalents. Moi je sais qu’à l’avenir, si je continue dans cette branche, je serai amené à faire beaucoup plus de vidéos et peut-être rédiger des contenus écrits. Ce qui n’était pas le cas il y a 15 ou 20 ans. Chaque personne était très bonne dans son domaine et ne faisait que ça. À l’avenir, il faudra être polyvalent et ce au détriment de la qualité. Tout le monde ne peut pas être bon partout ou au minimum moins bon dans certains domaines. Cependant pour revenir à la photo, il y aura toujours besoin de photographes. Avec les réseaux sociaux, on n’a jamais eu autant besoin de photo. La vraie question est : comment en vivre ? Quand j’ai débuté, les photos ne se vendaient pas 30 centimes pièce. C’est vrai qu’à ce prix-là, c’est difficilement viable. Après en travaillant dans une structure comme un journal ou une agence, on devrait trouver les moyens de vivre.

Dans votre carrière, vous avez déjà couvert une immensité d’événements sportifs en tout genre. Une lassitude s’est-elle installée ou vous ressentez toujours une certaine excitation à l’approche d’un événement ?

S.B : Ça dépend des événements. Il y a des stades de foot que j’ai fait plus d’une cinquantaine de fois. La première fois que j’étais au Stade de France, j’avais les yeux grands ouverts et j’étais impressionné, c’était le premier stade où je suis allé pour le travail. Après c’est normal qu’après l’avoir fait un bon nombre de fois, l’excitation ne soit plus la même. Cependant, il y a les Jeux Olympiques où ce n’est que tous les 4 ans donc forcément il y a toujours de la motivation. Là, il y a eu la finale de la Ligue des Champions qui a été assez inédite donc avec le suspens ça reste intéressant et on n’est pas blasé. Après quelques fois c’est surtout la fatigue due aux déplacements car on ne s’en rend pas forcément compte mais c’est très fatigant. Photographe c’est également un métier physique car il y a le matériel à porter et il y aussi une grande concentration.

D’ailleurs, quel est l’événement sportif que vous avez couvert et qui vous a le plus marqué ?

S.B : C’est difficile de choisir mais là je pense à deux événements en particulier. Il y a un reportage au Népal quand j’étais indépendant qui m’a particulièrement touché. C’était pour une course de VTT en pleine nature. Nature qui était magnifique et le groupe était super. Le projet était également humanitaire car on avait récolté des fonds pour un orphelinat et des écoles sur place. Après la course, on est descendu dans les écoles pour rencontrer la population et on a eu un accueil totalement incroyable, c’était très marquant. Puis avec L’Équipe c’est la Coupe du Monde de foot en 2014 au Brésil. Même si j’en ai fait beaucoup étant jeune, le foot n’est pas spécialement un sport que j’adore couvrir mais là, l’ambiance au Brésil était fantastique. J’ai pu visiter tous les stades et toutes les grandes villes, c’était vraiment chouette.

Crédits photos : Sébastien Boué

Les Reporters Incrédules – 2 septembre

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