Surnommé « Riton » par la plupart, Henri Leconte a marqué l’histoire du tennis français et écrit une page indélébile. Vainqueur de la Coupe Davis en 1991 et finaliste à Roland-Garros en 1988, Leconte a fait chavirer le public tricolore à de nombreuses reprises. Au-delà de son palmarès, son style de gaucher avec un revers à une main ainsi que de showman et de proximité avec les spectateurs a été longtemps apprécié. Aujourd’hui reconverti dans l’animation de conférences sur le dépassement de soi et consultant à la télévision, il s’est confié à nous sur toutes ces facettes.
Âgé de 58 ans, Henri Leconte a vécu l’apogée de sa carrière à la fin des années 80 et au début des années 90. Entre autres, sa finale en simple de Roland-Garros contre Mats Willander en 1988, une première depuis 5 ans côté français, à la suite du sacre de Yannick Noah en 1983. Avec ce dernier d’ailleurs, qui sera lui capitaine, il remportera la Coupe Davis 1991 en venant à bout notamment de Pete Sampras. Près de 59 ans après le dernier trophée, la France renoue avec la victoire, emmenée par un « Riton » sur un nuage ce week-end selon les spécialistes. Dans sa carrière, il compte 9 titres en simple et 10 en double, dont un Roland-Garros en 1984 accompagné par Yannick Noah. Après sa retraite en 1996, il s’est progressivement reconverti en tant que consultant TV, puis avec sa propre entreprise, Hl&Co Performance, en donnant notamment des conférences sur le dépassement de soi. Il s’est livré à nous sur ses nouvelles activités, tout en portant un regard sur la nouvelle génération dans le tennis.
Si vous deviez vous décrire en 3 mots…
Henri Leconte : Ambitieux, conquérant et généreux.
Parmi la Next Gen et les joueurs émergents, quel est celui qui vous impressionne le plus et pourquoi ?
H.L : C’est Carlos Alcaraz. Il a un potentiel énorme, il l’a démontré et le démontre encore. Il a par la suite à confirmer, car certes il a gagné un tournoi très important (NDLR : le Master 1000 de Miami), mais c’est là que ça devient compliqué. La première année, on commence à gagner, personne ne vous connaît et on ne connaît pas votre jeu, après on est insouciant et on a pas de pression, on ne comprend pas ce que c’est. Puis quand on arrive sur le circuit, c’est plus complexe et on le voit avec des joueurs comme Stefanos Tsitsipas. Il doit confirmer pour gagner un grand chelem avec une pression croissante, on passe dans une autre catégorie ensuite. On commence, on a rien à perdre et par la suite, on a une possibilité de marquer le tennis mondial. L’objectif, c’est de confirmer et d’avoir plus d’assurance, le tout est de bien s’entourer.
Des sportifs comme Naomi Osaka ont évoqué explicitement le terme de « santé mentale » il y a peu. Pensez-vous que ces déclarations n’ont pas forcément été prises au sérieux ?
H.L : C’est très important qu’elle puisse communiquer là-dessus. Vous savez, on vit dans un monde de plus en plus virtuel, avec des avatars, des profils, etc. C’est d’ailleurs dangereux, car on arrive pas du tout à analyser tout ce qui se passe. Je ne dis pas qu’il faut aller voir des psychologues, il faut au contraire aller dans un autre domaine pour se comprendre soi-même. On ne comprend pas ce qu’il se passe vraiment, et c’est pour ça que ça va dans une direction que l’on ne gère pas. C’est ce qui arrive à beaucoup de sportifs de haut niveau comme Osaka et dans d’autres domaines comme la chanson. Quand on voit aussi ce qui est arrivé à Stromae, ça arrive à tout le monde. Ce n’est pas parce que la personne est connue, ça peut arriver dans n’importe quel domaine ou dans le monde du business.
On veut toujours aller plus loin et on a toujours plus de pression, comme quand le boss vous demande d’être performant, ce qui développe un stress. Il faut savoir l’analyser, et si on arrive à se connaître mieux personnellement, on prend du recul. C’est ce qui est arrivé à Naomi Osaka, elle qui a une vie difficile et une personnalité. Elle a une pression énorme, et il faut arriver à la libérer cette pression. C’est tout un accompagnement qui n’existe pas encore dans le tennis français, il faut vraiment prendre ça avec importance. Certains sportifs l’ont déjà fait dans d’autres pays assez tôt, mais nous, on est loin.

Pensez-vous que la précocité n’aide pas pour des joueurs comme Carlos Alcaraz ou autre ?
H.L : Non, car il y a toujours eu des joueurs très précoces. Carlos Alcaraz a commencé chez Rafael Nadal puis ensuite chez Juan-Carlos Ferrero, deux personnes qui ont une certaine culture. Tout dépend aussi d’où vous venez et votre culture. Nous concernant, nous sommes très latins, le Français est fier et critique tout le temps, mais ça fait partie de nos gènes donc il faut faire avec. Je ne dis pas que c’est bien ou pas bien, mais lorsqu’on les écoute, on entend que c’est mieux ailleurs. Les personnes qui sont en poste dans les différentes fédérations doivent mettre des choses en place, afin que l’on change nos habitudes. On critique beaucoup de gens, mais on ne fait jamais rien. Après, on dit « tu as vu, il aurait dû faire ceci ou cela ». Au bout d’un moment, il faut agir.
On est trop attentistes, on ne va pas voir à l’extérieur ce qu’il se passe dans d’autres pays. On se retrouve par la suite dans une situation très complexe, mais ça peut bouger. Il ne faut pas se leurrer, il faut bousculer ce qu’il se passe. C’est avec l’expérience des anciens que l’on peut amener des choses beaucoup plus performantes.
Il y a peu, Jo-Wilfried Tsonga a annoncé sa retraite qui sera officielle après Roland-Garros. Sans le Big 3, aurait-il gagné un grand chelem ?
H.L : (il coupe) Non, on ne va pas faire de scénario fiction, ni revenir à ma génération. On a beau dire « avec ci, avec ça », on ne l’a pas fait, donc ça veut dire qu’il manque quelque chose. On a pas une structure suffisamment forte pour pouvoir avoir aujourd’hui un vainqueur de grand chelem, c’est tout. Qu’on arrête de faire avec des « si » et des « ça », c’est très français de dire « ohlala il ne s’entraîne pas ». On est critique, moi-même je l’ai été, maintenant on ne refait pas l’histoire. C’est une génération qui va évoluer, si cette génération qui n’a pas été très communicative veut partager, bien sûr que c’est bien. On voit que Jo-Wilfried Tsonga a créé deux académies, on va voir maintenant de quelle façon il va s’impliquer. Je suis président de club (au Levallois Sporting Club), donc je sais exactement ce qu’il se passe dans le tennis français. On a de très bons jeunes, mais après il faut s’en occuper ! C’est bien beau de dire « je fais ci, je fais ça », mais quand on est pas sur le terrain, quand on ne voit pas ce qu’il se passe dans les clubs, c’est complexe.

“Il faut bousculer ce qu’il se passe”
Vous avez créé HL & Co Performance, une entreprise axée autour de conférences et du dépassement de soi entre autres. En quoi consiste cette entreprise ?
H.L : Ça consiste à se connaître soi-même et aller dans une autre dimension. Se connaître parfaitement et retransmettre ce que j’ai pu avoir en expériences pendant toute ma carrière, que ce soit dans le tennis ou alors au travers des émissions comme à Eurosport ou France Télévisions. Être encore plus performant en dépassement de soi, c’est important de pouvoir retransmettre tout cela.
À quel point votre expérience personnelle vous a-t-elle servi pour donner aujourd’hui des conférences sur le dépassement de soi ?
H.L : On s’en sert toujours. Dans le monde du sport, il y a constamment des hauts et des bas, plus de défaites que de victoires. Ça nous permet d’être encore plus performant et d’être à l’écoute de votre corps et de vous-même afin de vous dépasser. C’est ce que j’ai voulu mettre en place avec Maya, que ce soit dans le monde du sport, mais aussi le monde du business.
« Un esprit sain dans un corps sain », en quoi l’aspect mental est important de nos jours dans le tennis ?
H.L : On sait très bien que si on est bien dans sa tête, on est bien dans son corps et on arrive à se dépasser et à aller encore plus loin. Aujourd’hui, dans le monde du sport et du tennis, on ne travaille pas assez. Me concernant, si j’avais pu mieux comprendre et que j’avais analysé et être encore plus concentré sur ce domaine, j’aurais été plus performant, c’est évident. On ne se rend pas compte à quel point le corps humain est fascinant. On s’en rend compte lorsque l’on a des pépins, des maladies, que l’on ressent des choses tout à fait exceptionnelles et différentes. Je ne dis pas qu’il faut être malade pour ressentir tout ça, je dis simplement que parfois, quand on est dos au mur, on réalise un petit peu ce qu’on est capable de faire pour se dépasser.
Il ne faut jamais avoir de regrets vous savez, on a eu la vie que l’on a eu. Si j’avais pu avoir ce soutien-là, j’aurais été plus performant. C’est pour ça qu’on met en place avec Maya cette formule pour pouvoir communiquer et partager.

En 1991, vous aviez remporté la Coupe Davis au terme d’une magnifique aventure. Êtes-vous triste quand vous voyez aujourd’hui le nouveau format de cette compétition ?
H.L : Pour l’instant, la Coupe Davis est morte. Ça n’existe plus, ils l’ont tué, Bernard Giudicelli l’a tuée. D’ailleurs, ils sont en train certainement de la réviser, car il n’y a plus aucun intérêt. On voit comment ça se passe, il y a eu un intérêt incroyable à Pau lorsque c’était chez nous, il y a eu du monde. Néanmoins, cet intérêt ne suffit plus aux yeux de certains joueurs. C’est aux fédérations et aux personnes concernées d’assumer leurs choix. Il ne faut pas se leurrer, le tennis mondial ne va pas si bien que ça ! On a la chance en France d’avoir un tournoi du grand chelem et des tournois reconnus. Ok à Monaco il y avait du monde, mais dans les autres tournois ce n’est pas si simple. Le tennis n’est pas au firmament.
Que diriez-vous à un jeune qui souhaite se lancer sur le circuit ?
H.L : (il coupe) Ce n’est pas se lancer, car il faut déjà qu’il ait le potentiel et l’envie. C’est un long chemin, difficile et semé d’embûches et il y a énormément de hauts et de bas. Il faut qu’il soit passionné, il faut qu’il dorme tennis. Il rentre dans un système très dur, on est pas champion comme ça du jour au lendemain. C’est facile aujourd’hui car il y a les téléphones et les réseaux sociaux, donc on pense qu’on peut devenir champion en deux minutes (rires). Il y a beaucoup de travail derrière. On est dans une autre dimension, le sport est de plus en plus difficile avec énormément de sacrifices.
Crédits photos : Christophe Wilmes et Alexis Atteret