Les sportifs africains sont très réputés pour tout ce qui touche au marathon et à la course, pourtant il existe d’autres disciplines où ils sont parmi les plus forts. En effet, c’est le cas du triple saut en athlétisme et de notre interviewé du jour qui, pour la première fois, a ramené une médaille mondiale aux Étalons du Burkina-Faso. Preuve qu’il faudrait compter sur Hugues Fabrice Zango pour l’avenir. Entretien.
Son portrait
Nom : Zango
Prénom : Hugues Fabrice
Âge : 26 ans
Région : Hauts-de-France
Club : Artois Athlétisme
Classement mondial : 1er (hiver 2020)
Coach(s) : Teddy Tamgho
Titre(s) : 6 (dont les Jeux Africains en 2019)
Meilleure performance : 17 m 77 (en salle) et 17 m 66 (en plein air)
Peux-tu te décrire en trois mots ?
Hugues Fabrice : Je suis quelqu’un de persévérant, qui a le goût du risque mais toujours positif.
Quand as-tu découvert le triple saut et qu’est-ce qui t’as plu dans cette discipline ?
HF.Z : Je n’ai jamais pratiqué d’autres disciplines avant le triple saut mis à part à l’école. Avant 2011, je voyais le sport uniquement comme un loisir, je ne pensais même pas qu’on pouvait avoir le statut d’athlète professionnel et vivre de son sport ! Mais cette année-là, mon professeur de sport m’a orienté vers le triple saut, je disposais de bonnes prédispositions grâce à mes capacités morphologiques, à savoir la force, la résistance et la vitesse. Dépasser sans arrêt mes limites m’a tout de suite plu, j’ai adoré cet aspect « plus haut, plus fort, plus vite ». Mes résultats ont, quant à eux, commencé à décoller à partir de 2015.
Dans quel contexte es-tu arrivé en France et as-tu connu des difficultés pour t’intégrer ?
HF.Z : Après avoir passé mon baccalauréat au Burkina Faso, j’ai décidé de poursuivre mes études en France car mon pays ne proposait pas la spécialité que je cherchais. J’étais déjà venu un mois en France pour préparer les Jeux Olympiques de Rio, un ami m’avait mis en contact avec le club de l’Artois Athlétisme où je suis toujours actuellement. Tout s’était très bien passé, il m’est donc paru logique et pratique de revenir au même endroit pour la suite de mes études. De plus, mon campus est idéalement placé soit à proximité directe d’installations sportives de qualité. En France, j’ai eu le temps d’évoluer dans mes études comme dans ma carrière d’athlète. En quelques années, je suis passé d’une élimination en séries aux Jeux Olympiques à une médaille de bronze aux championnats du monde 3 ans plus tard.

Que ressent-on lorsque l’on devient le premier athlète à apporter une médaille mondiale à son pays ?
HF.Z : C’était pour moi un sentiment d’accomplissement envers mon pays et toute l’Afrique, cela faisait 30 ans que le triple saut africain n’avait pas obtenu une médaille mondiale. Beaucoup sautaient à 17,30 m mais ce n’est pas suffisant pour être médaillé mondial, cette médaille a donc été un soulagement. Je me suis montré à moi-même que c’était possible et j’espère avoir ouvert la voie à d’autres triples sauteurs africains dans les prochaines années. Depuis 30 ans, il est nécessaire de faire autour de 17,50 m pour espérer une médaille mondiale, le triple saut peut être très traumatisant et il y a un ensemble de paramètres à gérer.
La composante technique est très importante et c’est ce qui a permis le succès des américains ou des européens. En Afrique, cette donnée n’est pour le moment pas assez travaillée et c’est ce qui nous limite au niveau mondial. Dans d’autres disciplines comme le sprint où la technique est moins difficile à travailler, nous sommes tout à fait capables de rivaliser au niveau mondial. Mais je suis optimiste pour la suite car les installations arrivent, ce qui permettra à l’Afrique de former de grands champions en triple saut !
On t’a pourtant senti presque déçu de ne pas avoir pu remporter l’or mondial. Cet épisode est-il révélateur de ta personnalité ?
HF.Z : Tout à fait. Je suis quelqu’un qui aime aller jusqu’au bout quand je commence quelque chose. Pour le triple saut, cela veut dire être le meilleur à un instant donné. À Doha, j’avais encore peu d’expérience contrairement aux autres, mais avec ces championnats j’ai beaucoup appris. Je pense que 2020 était la bonne année pour m’exprimer mais avec les événements actuels, il faudra que je le prouve l’année prochaine. Je dispose de bonnes capacités physiques mais ce n’est pas cela qui fait le plus l’athlète. Le mental est pour moi la donnée la plus importante et c’est ce qui fait ma force. Je ne doute jamais de mes capacités mais je pense rester quelqu’un d’humble, qui n’oublie pas d’où il vient.

“Un sentiment d’accomplissement envers mon pays et toute l’Afrique”
Hugues Fabrice Zango, triple sauteur
Tu es encore jeune et tu n’as sans doute pas atteint ton plein potentiel. Lors de tes sauts, Hugues-Fabrice : quels sont tes points forts et existe-t-il des domaines qui te paraissent encore perfectibles ?
HF.Z : Mes principales qualités sont la vitesse (NDLR : record au 100 m à 10’70’’) et ma capacité à résister aux chocs. Mon principal défaut est un problème de balance. Lors de mon saut, j’ai tendance à me déséquilibrer sans que cela ne se voit. Je travaille dessus depuis juillet mais comme on dit « les mauvaises habitudes ont la peau dure ». Il est nécessaire d’y remédier au plus vite car cela pourrait me coûter très cher aux Jeux Olympiques.
Tu es un athlète qui connait une progression constante ces dernières années au point d’être tout proche des 18 mètres. Penses-tu pouvoir atteindre rapidement cette barrière mythique et peut-être détrôner un jour le record du monde de Jonathan Edwards ?
HF.Z : J’espère que cette progression continuera à être linéaire dans les années à venir mais je sais que j’ai encore de la marge. Le défaut de coordination dont je viens de parler me laisse présager une bonne marge de progression. En gommant ce défaut, je pense pouvoir gagner autour de 60 cm. Je suis plus fort qu’Edwards (record à 18,29 m en 1995) physiquement mais moins techniquement. En travaillant davantage la technique, je pense donc pouvoir approcher voire dépasser ce record. Avec mes études, je ne peux aller à l’INSEP qu’une seule fois par semaine. Si j’avais plus de temps, cette progression serait plus rapide mais je ne m’affole pas, cela viendra en temps voulu.

Teddy Tamgho qui a déjà franchi ce palier au cours de sa carrière est ton entraîneur. L’expérience d’un tel athlète peut-elle t’aider dans cet objectif ?
HF.Z : L’apport de Teddy Tamgho apporte de la crédibilité à mon projet. Nous partageons de nombreux points en communs à commencer par le goût du risque, qui manque aujourd’hui en France. Sa fin de carrière, entrecoupée de blessure, a été compliquée. Néanmoins, son titre de champion du monde en 2013 à Moscou avec ses 18,04 m montre que le jeu en valait la chandelle. Je suis dans cette même optique, je préfère être au sommet en réalisant autour de 18 m pendant 5 ans que juste un bon athlète, constant pendant toute sa carrière à 17 m.
Avoir de l’encadrement m’a également appris à prendre soin de mon corps. Quand tu es sportif de haut-niveau, on se doit de prendre soin de son corps surtout en triple saut où les impacts sont fréquents. J’ai rencontré Nicole qui m’a appris à équilibrer mon alimentation avec les produits Herbalife. En rejoignant Vercors Sports Team, j’ai pu échanger avec des sportifs d’autres disciplines sur l’importance d’une bonne alimentation dans la récupération.
Le triple saut français cherche ces dernières années un successeur à Teddy Tamgho mais une nouvelle génération semble en passe d’éclore. Penses-tu que la France pourra à nouveau briller sur la scène mondiale dans les années à venir ?
HF.Z : Bien-sûr, le potentiel du triple saut français est certain. Il suffit de regarder le champion de France junior qui gagne avec un saut à plus de 16 m. À l’inverse de l’Afrique, le problème n’est pas les infrastructures mais plutôt la qualité de l’encadrement, il ne faut pas toujours rejeter la faute sur les athlètes. Je m’entraîne avec Melvin Raffin (21 ans, record à 17,20 m) qui a un talent indéniable, nous avons la chance d’être très bien encadrés.
Nos résultats ne dépendent donc que de nous mais malheureusement, ce n’est pas le cas pour tout le monde. En France, j’ai l’impression que les entraîneurs ne sont pas toujours à l’écoute de leurs athlètes. Il est indéniable que l’athlète doit accepter de travailler dur mais pour moi, cela va aussi dans l’autre sens. Si des athlètes talentueux ne percent pas, c’est bien qu’il y a un problème. Il est primordial de prendre en compte les capacités de l’athlète, différentes selon chacun, et de planifier son entraînement en conséquence.
Tu mènes des études supérieures en plus de ton statut de sportif professionnel. N’est-ce pas parfois difficile à gérer ?
HF.Z : Je suis au laboratoire où j’effectue un travail de chercheur à Béthune du lundi au vendredi après-midi. Après, je file directement à l’INSEP et en reviens le dimanche. Les journées sont chargées et je n’ai donc pas le temps pour travailler ma technique autant que d’autres. Après, je ne travaille pas non plus 35 heures par semaine et finis mes journées relativement tôt, ce qui me laisse le temps d’aller à l’entraînement. Ma vie est donc centrée sur les études et le triple saut, je n’ai pas le temps de faire grand-chose d’autre.
Une semaine par mois cependant, le temps d’entraînement est réduit à 40 % du temps habituel ce qui me permet d’effectuer les tâches impératives de la vie de tous les jours. Ces études me permettent déjà d’assurer mon après carrière. J’aimerais quand même garder un contact avec le sport mais je ne sais pas encore sous quelle forme. Pour le moment, je me contente de vivre mon rêve à fond en profitant de l’instant présent !
Malgré le confinement, les Jeux de Tokyo dans un an doivent trotter dans ta tête. Apporter un titre olympique au Burkina Faso serait-il pour toi le Graal absolu ?
HF.Z : Absolument. J’ai déjà gagné tout ce qu’il y avait à gagner en Afrique (championnats d’Afrique, Jeux africains et Jeux de la Francophonie). Désormais, je me dois de remporter un titre mondial. Avec ma 3e place à Doha, je m’en rapproche mais l’histoire ne retient que les gagnants. L’objectif est donc de remporter les Jeux l’année prochaine. Je n’oublie pas non plus les championnats du monde que j’aimerais bien remporter au moins une fois, dès 2022 si possible. Si je peux réaliser ce doublé, je serais à mon tour entré dans l’histoire de ma discipline. Il est donc possible que je mette un terme ma carrière en terminant, je l’espère, en apothéose avec une telle consécration.
Crédits photos : Tokyo 2020, La Voix du Nord, Le Télégramme et Gova Media