Depuis Tokyo 2021 et l’incroyable sacre de Romain Cannone, l’épée, et plus précisément l’escrime, connaissent un essor. Dans son sillage, le champion olympique emmène de nombreux athlètes avec lui, tous aussi ambitieux que lui. C’est le cas de Lilian Nguefack, épéiste de 23 ans, qui travaille pour atteindre les sommets. Une personnalité atypique qui apporte de la nouveauté.
Âgé de 23 ans, Lilian Nguefack est un épéiste français classé 164e mondial. Son palmarès est d’ores et déjà très prometteur, avec notamment un titre de champion d’Europe U23 à Tallinn en mai dernier. En France, il a entre autres remporté le Mémorial Foussard à Lisieux en 2020, un circuit national. Il a entamé en ce début d’année scolaire sa troisième saison à l’INSEP, où il se prépare avec ses entraîneurs. En parallèle de l’épée, Lilian est étudiant à Sciences Po Paris, l’une des écoles les plus prestigieuses de la Capitale. Il est licencié au Levallois sporting club, avec lequel il dispute les rencontres par équipes. Très serein, le jeune épéiste aborde avec détermination les prochaines échéances, afin de se rapprocher de l’élite mondiale.
Si tu devais te décrire en trois mots…
Lilian Nguefack : Je dirais fantasque, rigoureux et respectueux.
Quelle est la plus belle émotion que tu aies vécue et pourquoi ?
L.N : Je ne pense pas avoir retenu une émotion particulière, car je n’ai pas un titre à sortir réellement du lot. Ce qui me marque, c’est ma progression en tant qu’escrimeur, le chemin parcouru et le parcours « Step by step ». Même si parfois, j’aimerais avancer plus vite.
L’an dernier, au Challenge Monal, étape de coupe du monde d’épée en France. À seulement 22 ans, tu t’étais qualifié pour le tableau final. Avec du recul, es-tu satisfait de ce résultat ?
L.N : Non pas vraiment. Je pense que c’est le strict minimum. Je m’entraîne tous les jours pour ça, donc j’aspire à être à chaque fois dans les 64. Le but réel du sport, ça reste de faire des performances notables, et pas forcément d’être parmi les meilleurs. Dans la façon d’aborder les matchs et dans ce que je travaille au quotidien, je commence à sentir plus de liens entre ce que je travaille et ce que je fais sur la piste.
Je suis content de ce gain de maturité, au niveau de la liaison entre l’entraînement et la compétition. Mais je ne suis pas satisfait du résultat. Je dirais qu’il m’a manqué de la folie. Mon côté fantasque me joue parfois des tours, donc je le mets de côté. Mais quelques fois, ça manque. Ne serait-ce que pour avoir plus d’inspiration, plus de possibilités sur la piste. Si on reste sur la même ligne directrice tout le match, c’est beaucoup plus lisible que si on touche de manière différente. Mais un jour, ça va passer.

L’escrime est un milieu où il est difficile de se faire sa place rapidement. Comment as-tu vécu la transition entre les juniors et les seniors ?
L.N : C’est là que le parcours prend tout son sens. C’est un autre monde. Quand on sait à quel point c’est dur, c’est là qu’on apprécie vraiment les petites évolutions. Franchement, cette transition est violente. Maintenant, plus c’est compliqué, plus c’est bon. Quand ça marche, on est très content. Mais en juniors, surtout en France, on fait de très bons résultats. Aujourd’hui, en seniors, ce n’est pas la même chose. Il y a un gros niveau. Beaucoup de nations qui ne sont pas redoutables dans les catégories jeunes ont des générations très fortes en seniors. C’est appréciable, c’est la rivalité à l’international. L’escrime se développe beaucoup dans le monde et le niveau est de plus en plus homogène.
Pourquoi avoir choisi l’épée et pas une autre arme ?
L.N : J’ai choisi l’épée parce que je pense que j’avais un petit problème avec l’arbitrage. Je n’étais pas mauvais perdant, mais j’aimais bien quand ça dépendait de moi. De fait, mon club faisait de l’épée. En termes de folie, j’ai toujours dit que cela m’amusait. Même si c’est vrai qu’en fleuret, on peut s’amuser et être certainement plus large au niveau de la pointe. Mais le fait de toucher au pied, par exemple, c’est quelque chose qui m’a toujours amusé. Donc c’est pourquoi j’ai fini par choisir l’épée.
Quelles sont les différences entre l’épée et le fleuret ?
L.N : Avec l’épée, on peut toucher l’adversaire partout, il n’y a pas de règles de priorités. Alors que le fleuret est une arme de convention, donc celui qui attaque a la priorité. Aussi, on ne peut que toucher sur une partie du corps : le tronc. Avec l’épée, on n’a pas le droit à l’erreur. Si l’on fait un millimètre d’écart, notre main est directement accessible à l’adversaire. On peut mettre des touches à plus d’endroits, mais finalement, on n’est pas plus large qu’avec le fleuret, puisqu’on peut aussi être touché à plus d’endroits.

“Mon côté fantasque me joue parfois des tours”
Lilian Nguefack, épéiste français
Selon toi, quelles sont les principales caractéristiques d’un affrontement à l’épée ?
L.N : Il faut être très attentif, car le danger peut venir de partout. Il faut être rigoureux, savoir s’imposer et avoir une très bonne lecture du jeu. Aussi, avoir une très bonne lecture de ce qu’il se passe. En effet, l’épée, c’est un peu comme les échecs. Si on se fait attraper une fois, il faut vraiment le retenir et ne pas refaire l’erreur. L’épée, c’est l’arme où le côté stratégique est le plus important.
De plus en plus, le mental est évoqué comme étant une composante de la performance. Qu’en penses-tu ?
L.N : Pour moi, c’est important. À l’époque, je gagnais 14-12 et j’ai perdu 15-14, alors que selon moi, j’étais plus fort, plus rapide et j’avais un meilleur jeu que mon adversaire. Pourtant, il a gagné. Si à un moment donné, tu déconnectes, tu le payes cher. Sur quinze secondes, ça va vite et il faut faire attention. De mon côté, je pense que c’est bien de saisir l’importance du mental et de travailler dessus. Soit tout seul avec des livres, ou avec quelqu’un s’il y a besoin. Mais je pense qu’on ne peut pas l’ignorer. Chacun trouve la démarche qui lui correspond le mieux. Certains vont méditer tout seul, il y en a qui vont lire des livres, d’autres vont être accompagnés.
Le sacre de Romain Cannone a permis de mettre en lumière ta discipline. As-tu senti un engouement après les Jeux Olympiques ?
L.N : En escrime, tous les groupes sont habitués à avoir des médailles olympiques à chaque olympiade. De plus, à l’épée, on a une belle culture de la gagne. Mais sinon, on a peut-être plus de médias qui viennent voir notre quotidien. Cependant, je ne pense pas que cela ait changé quelque chose. On a toujours les mêmes objectifs, on vient tous pour gagner. Le fait d’avoir quelqu’un qui gagne, c’est tant mieux, mais c’est un objectif qu’on se fixe à chaque fois dans notre groupe. Et si tu n’es pas là pour gagner, tu n’as rien à faire là.

Que t’apporte l’INSEP dans ton quotidien et dans tout ce que tu réalises ?
L.N : Des infrastructures sans limites. Il y a un coin médical fou, des infrastructures de récupération vraiment bonnes. On a aussi la chance, grâce aux efforts de la MS et de la Fédération, d’avoir un staff qui est fait de grands champions et de pointures au niveau de l’entraînement. C’est ma troisième année à l’INSEP et franchement, on travaille comme des dingues. Je n’en attendais pas moins.
Que manque-t-il à tes yeux pour que l’escrime soit plus médiatisée et reconnue ?
L.N : Pour moi, ma vision des choses, c’est qu’on ne sait pas forcément quelle cible on vise. C’est un sport qui a des origines culturelles assez élevées et qui touchait, à l’époque, des populations assez aisées. Mais ça tend à s’ouvrir et c’est très bien. Je suis le premier à être contre cela, puisque je viens des quartiers populaires de Lyon et j’ai galéré. Quand on va voir du tennis, on sait ce que l’on va voir et à quelle ambiance s’attendre.
En revanche, aujourd’hui, quand on va voir de l’escrime, on a des aprioris. Mais une fois sur place, souvent ce n’est pas comme ce à quoi on s’attendait. D’ailleurs, il n’y a pas forcément de coordination entre les pays. Par exemple, cette Coupe du Monde (à Paris), c’est la plus belle. Il n’y en a aucune qui arrive à la cheville de celle-ci. Nous sommes diffusés sur L’Équipe Live, mais c’est la seule fois de l’année. Peut-être que s’il y a tout le circuit mondial, l’évolution des tireurs, ce serait intéressant. En bref, il faut casser les aprioris, garder la même cible et diffuser plus régulièrement. Aussi, trouver un système de diffusion plus équilibré entre les trois armes (épée, fleuret et sabre), afin de créer une communauté autour de l’escrime.
En parallèle de l’escrime, tu fais des études à Sciences Po. En quoi est-ce important pour toi de poursuivre tes études à côté du sport ?
L.N : Au lycée, jusqu’au bac, on m’a poussé à faire des études. J’ai fait un bac général et ça m’a beaucoup aidé. À l’origine, je n’étais pas un très bon élève à l’école, quand j’étais en dehors des structures avec un double projet. J’ai redoublé ma troisième, et franchement, c’était un peu la galère. Après, quand je me suis lancé dans le double projet, j’ai eu un équilibre. Je me suis dit, « si tu ne peux pas y arriver à l’école, tu ne peux pas continuer l’escrime ». Maintenant, mes journées sont organisées. Je n’ai pas de moments de latence, je sais ce que j’ai à faire. J’ai fait de très bonnes performances en juniors et cela m’amenait à me dire que je ne devais pas changer quelque chose qui marche. C’est dur, mais ça vaut le coup de le faire. Surtout que l’escrime, ce n’est pas professionnel.
C’est un sport où il ne faut pas avoir le cerveau en ébullition tout le temps. On ne fait pas du triathlon. Je ne me lève pas à 6 heures pour finir ma journée à 20 heures et aller à la piscine. Moi, je fais de l’escrime, ce qui représente deux entraînements par jour (matin et soir). Il faut s’organiser et essayer de gérer les moments de creux pour faire autre chose à côté.
Quel message ferais-tu passer à un jeune qui veut se lancer dans l’escrime ?
L.N : Il faut y aller, ne pas se soucier des études et rassurer ses parents. Je pense que la Fédération organise très bien l’accession au haut niveau et qu’il y a un bel accompagnement au niveau des études. Personnellement, je fais de grandes études, que je n’aurais jamais faites sans l’escrime. Aussi, je dirais qu’il faut y aller, parce que ce que l’on vit dans le sport, on ne le voit nulle part ailleurs. C’est dur, mais ce n’est pas plat, il se passe des choses. Et là, quand on se sent en vie, c’est vraiment cool !