Avec l’amélioration du record du monde de Mondo Duplantis début mars à Belgrade en Serbie, la perche montrait une nouvelle fois sa singularité. Non, elle n’est décidément pas une question d’âge. Alors que le prodige suédois de 22 ans ne cesse d’accroître ses propres records, une telle précocité ne peut que forcer le respect et donner des idées aux champions de demain. Bien aidée par le règne de Renaud Lavillenie dans les années 2010, la perche française semble de son côté déjà avoir trouvé sa relève avec Mathis Prod’homme. Entretien.
Mathis Prod’homme est à surveiller dans cette catégorie. En 2021, il avait déjà réalisé 5,21 m en salle, la deuxième meilleure performance mondiale cadet de l’année, à distance de l’impressionnant 5,60 m réalisé par Matvey Volkov. Pour son grand saut chez les juniors en 2022, le protégé d’Eric Gicqueau s’en est bien sorti avec une 2e place le 20 février dernier aux championnats de France à Nantes et surtout une performance à 5,45 m, soit des minimas atteints pour les championnats du monde juniors.
L’air ligérien paraît d’ailleurs lui réussir puisque c’est déjà dans cette salle Pierre-Quinion, où il s’entraine, qu’il avait établi son record précédent le 29 janvier (5,40 m). Au travers de son parcours, nous vous proposons de mieux découvrir ce garçon de 17 ans, qui vient tout juste de remporter les Gymnasiades (Jeux Olympiques UNSS) de Caen avec un saut à 5,20 m. Les championnats du monde à Cali en Colombie seront le véritable objectif d’une saison estivale pleine d’ambitions.
Quel terme décrirait le mieux ta personnalité, que ce soit en athlétisme comme dans ta vie de tous les jours ?
Mathis Prod’homme : Ce n’est pas forcément très original, mais je suis déterminé. L’ambition guide toujours chacun de mes projets.
Quand as-tu commencé l’athlétisme et comment la perche est-elle rentrée dans ta vie ?
M.P : Ayant des parents athlètes, j’ai baigné dans le milieu très petit, même si ma première licence n’a été prise officiellement qu’à l’âge de 10 ans. Auparavant, je faisais de la gymnastique. La première année, en poussin 2, je pratiquais vraiment de tout. Quand je suis arrivé en 6e, donc en benjamins, j’ai commencé à me mettre à la perche, qui n’était pas proposée en compétition dans les catégories d’âge inférieures. Mes proches m’avaient en effet fait remarquer que les compétences demandées en gymnastique se rapprochaient de celles de la perche.
Cependant, la perche ne m’a pas fait délaisser les autres disciplines comme les haies, sprints, lancers que je pratiquais encore en minimes lors des triathlons. Aujourd’hui, je me consacre exclusivement à la perche, même s’il m’arrive encore de faire quelques courses (NDLR : sprints plats ou avec haies) en compétition. Cela me permet de travailler mes qualités d’explosivité lors des périodes un petit peu plus creuses de compétition, l’une des caractéristiques clés d’un saut réussi.
Avais-tu des références hors du commun par rapport à ta catégorie d’âge dès tes premiers sauts ou est-ce par la suite que ta progression t’a permis de te démarquer des autres ?
M.P : J’ai eu une progression parfaitement linéaire. J’ai commencé par empocher des records départementaux en benjamins, puis régionaux en minimes. Ces étapes ont été décisives dans mon entrée au lycée La Colinière, en section sportive régionale, ce qui me permet de m’entrainer toute la semaine au Pôle espoir avec Alain Donias (voir par ailleurs). Dès lors, mes performances se sont envolées, avec ce premier titre national. J’avais un record de France en ligne de mire qui n’était plus qu’à 12 centimètres (NDLR : détenu par un certain Sasha Zhoya avec 5 m 32 en 2019 à Liévin), sans toutefois y parvenir.
Depuis mon passage chez les juniors en 2022, je n’ai cessé de battre mes records en salle avec tout d’abord 5,37 m à Bordeaux le 15 janvier, 5,40 m à Nantes deux semaines plus tard et enfin 5,45 m à nouveau à Nantes le 20 février dernier pour le compte des championnats de France. De bon augure pour la saison estivale !

Après ton titre à Miramas en cadets en 2021, considères-tu ta médaille d’argent acquise en juniors comme satisfaisante ou restes-tu sur ta faim ?
M.P : Autant en cadets à Miramas, j’avais réalisé ma pire performance de la saison lors de ces championnats donc sur le coup, mes sensations étaient vraiment mitigées. Je me disais que le contrat était rempli avec ce titre, qui était bien l’objectif, mais j’avais toujours mes mauvaises sensations du concours en travers de la gorge. Ce ne sont que mes entraîneurs qui m’ont permis de réellement relativiser. Je me dis maintenant que je ne me rendais sûrement pas compte de la performance que je venais de réaliser et de ce qu’un titre national pouvait représenter. En championnat, la place prime forcément sur la performance.
Depuis mon passage en juniors, les championnats de France à Nantes sont venus clôturer une saison hivernale que je considère comme très satisfaisante. Je termine certes 2e, mais le premier, Anthony Ammirati (NDLR : qui est Juniors 2 à l’inverse de Mathis qui est Juniors 1), est le recordman de France de la discipline. Je pense donc qu’il est à sa place et moi à la mienne avec un record personnel à la clé. Après, la première place ne s’est jouée à rien, au nombre d’essais (NDLR : Mathis a raté son premier essai à 5,10 m, alors que le premier raté d’Anthony était à 5,35 m). C’est comme ça et cette place n’entache rien à ma performance, je suis content !
Comme tu l’as énoncé, tu es actuellement scolarisé en terminale au lycée La Colinière à Nantes qui te permet de concilier sport et études grâce à une section sportive. Quels avantages y vois-tu en termes de gestion et d’encadrement ?
M.P : Mon plus grand avantage est que le lycée ne fait jamais terminer les sport-études après 15 h 40. Un chauffeur nous emmène ensuite à la salle Pierre-Quinion, où je m’entraine régulièrement l’hiver. D’avril à septembre, nous nous entraînons davantage à l’extérieur, au stade de Procé. Avoir un chauffeur est un gain de temps énorme, en plus d’infrastructures variées et de grande qualité à proximité, comme cette salle Pierre-Quinion, quasi-neuve et sans doute l’une des meilleures de France. L’aspect médical n’est également pas négligé avec un kinésithérapeute et un médecin à notre disposition. Avec les entraîneurs et un bon groupe d’entraînement, j’ai vraiment tout pour réussir.
Ton parcours n’est pas sans rappeler celui de Matthias Orban, un autre Mayennais, qui a été champion du monde cadet en 2017. Malgré sa longue blessure l’an dernier, est-ce un modèle à suivre et comment expliques-tu les succès de ton département dans ta discipline ?
M.P : Je pense que nous avons de très bons entraîneurs en Mayenne, tous formés dans nos clubs respectifs. C’est d’ailleurs pour cela que malgré mes entraînements à Nantes, j’ai gardé ma licence dans mon club de toujours de l’UPAC Château-Gontier. C’est une forme de reconnaissance envers un club familial qui m’a tout apporté. De plus, on a la chance d’avoir des infrastructures adaptées au niveau de la région, car il ne faut pas oublier que la perche représente un budget important en termes de matériel.
Concernant Matthias, c’est un grand ami. Il a été opéré l’an dernier à cause d’une pubalgie, ce qui a entériné ses ambitions de saison estivale. Même si ç’a été un peu plus compliqué pour lui à ce moment précis, être champion du monde force le respect et l’envie de connaître le même succès (NDLR : à Nairobi en 2017, Orban est devenu champion du monde cadet). J’ai moi-même eu une fracture de fatigue au dos qui a terni ma saison estivale de 2021. Elle ne m’a pas empêché de performer cet hiver et d’avoir de gros objectifs pour cet été, donc je reste optimiste pour lui.

“J’ai vraiment tout pour réussir”
Mathis Prod’homme, perchiste français
Malgré plusieurs stages avec l’Equipe de France, tu n’as pas pu encore porter le maillot bleu en compétition. Quelles échéances vises-tu à terme avec la sélection ?
M.P : Les championnats d’Europe cadets en 2021 étaient un grand objectif, mais ils ont été annulés. Ils devaient se tenir fin août en Italie (NDLR : déjà reportés en 2020 puis en 2021). Vu que je me suis blessé ensuite, la déception n’est pas trop grande. La pandémie m’a également empêché de porter le maillot en Turquie pour un match international, habituellement réservé aux champions de France. Je n’aurais donc pas eu la chance de porter le maillot national en cadet. Cette année, l’objectif est vraiment centré sur l’équipe de France, surtout avec les championnats du monde juniors en 2022 à Cali (Colombie). J’ai déjà réalisé les minimas cet hiver. Il faudra sauter plus haut lors de la saison estivale qui débute, mais ces mondiaux sont vraiment la priorité de la saison.
La perche française semble en grande forme ces derniers temps, à l’image des espoirs Ethan Cormont ou de Thibaut Collet. Comment vois-tu tout cela et penses-tu pouvoir t’inscrire dans cette lignée ?
M.P : Déjà, la France est une très bonne école de perche. C’est évidemment un objectif de rentrer au niveau des meilleurs, mais au vu de la densité dans l’Hexagone, il faut aussi savoir se démarquer, ce qui n’est pas forcément chose aisée. Je pense donc qu’il faut savoir saisir toutes les occasions lorsqu’elles se présentent. C’est comme ça que je vois les choses : du moment que j’ai eu le sentiment d’avoir tout donné, je n’aurais pas de regrets, quelle que soit la tournure que prend ma carrière.
La perche est l’une des rares disciplines athlétiques où l’âge ne semble pas être un fardeau, comme le montrent Mondo Duplantis et Renaud Lavillenie, qui ont régné ensemble il y a peu sur la perche à des âges pourtant radicalement différents. Qu’est-ce que cela t’inspire ?
M.P : Cela prouve que ce n’est pas une blessure qui peut nous retarder, on peut très bien arriver plus tard sur le circuit, que ce soit au niveau national, européen ou même mondial. L’exemple le plus parlant est celui de Renaud qui n’était pas dans les meilleurs Français étant jeune et a été refusé dans plusieurs pôles, avant d’être une légende dans son sport. Aujourd’hui, c’est gratifiant d’évoluer à ses côtés lors des compétitions. Malgré son statut, il est toujours là pour rassurer les plus jeunes comme moi et les faire relativiser à travers son expérience lorsque cela ne se passe pas comme prévu. Malgré les obstacles, son parcours est sans aucun doute le plus impressionnant.
Être encore là à son âge après avoir dominé la discipline pendant une décennie, c’est fort. L’image prétentieuse qu’on lui attribue parfois est totalement injustifiée. À l’inverse, Duplantis est un modèle de précocité, lui qui a tout raflé dès son plus jeune âge. C’est ce qui fait la beauté de notre discipline. Je ne pense pas que l’on puisse prédire le succès de chacun. Il n’y a pas de progression fixe, il ne faut jamais baisser les bras. Il ne faut pas non plus se fier aux progressions des autres, la nôtre viendra en temps voulu tant que le travail est bien fait.

Le monde de la perche et plus généralement de l’athlétisme est assez ingrat, très rares sont les élus à pouvoir vivre pleinement de leur discipline. Vers quel secteur professionnel comptes-tu t’orienter en Plan B ?
M.P : C’est assez flou pour moi, je me laisse le temps d’y réfléchir encore pour prendre du recul sur tout ça, surtout avec la situation actuelle. Pour le moment, j’étudie vraiment des disciplines très variées. Mes spécialités au lycée sont un mélange entre scientifiques (mathématiques et SVT) et économiques et sociales (SES). Comme ça je ne me ferme aucune porte, le plus important étant de trouver quelque chose qui me rende heureux.
Quel est ton rêve ultime ?
M.P : Il y a bien sûr Paris 2024, mais j’aurai à peine 20 ans. Même si on voit de plus en plus de jeunes aux Jeux Olympiques, je pense qu’au vu de la densité de la perche française, il serait plus judicieux d’espérer les Jeux Olympiques 2028 de Los Angeles. Après, si on parle de rêve, j’estime qu’il n’y a que quand tu obtiens l’or olympique que les gens se souviennent de toi. C’est le seul moyen de marquer durablement les esprits, car contrairement à un record, un titre olympique a l’avantage de ne pouvoir s’effacer. Néanmoins, un record du monde a une certaine valeur aussi, donc pourquoi ne pas faire d’une pierre deux coups. Effectuer le record du monde lors d’une finale olympique, le voilà le rêve ultime !
Aurais-tu une anecdote à nous raconter ?
M.P : Je n’ai pas de rituels particuliers avant une compétition, mais j’ai le souvenir d’une saison en minimes où j’avais réalisé pas moins de 7 « bulles » (NDLR : concours nul dû à 3 échecs successifs d’entrée). Je pense que rares sont les personnes à pouvoir se targuer de pareille performance ! Plus sérieusement, je mets cet exemple en avant pour montrer qu’il ne faut jamais abandonner et toujours relativiser après ses échecs, ceux-ci seront forcément formateurs pour la suite.
Crédits photos : Célia Cade, Baptiste Renaudin et UPAC Château-Gontier