Accueil » Entretien avec Frédéric Lefebvre, préparateur physique de Stefanos Tsitsipas

Le rôle de préparateur physique n’est que peu évoqué alors qu’il est central dans l’évolution et la carrière d’un athlète. De petits joueurs à joueurs de classe mondiale, le préparateur physique de Stefanos Tsitsipas nous raconte son ascension et ses expériences dans le milieu du tennis professionnel. La préparation physique, un élément clé pour les joueurs au top niveau, il nous le raconte à travers cette interview.

Frédéric Lefebvre est actuellement le préparateur physique de Stefanos Tsitsipas. Il a 40 ans et parallèlement à son poste de préparateur physique, il est aussi le directeur de la préparation physique chez Mouratoglou. Commençant par travailler avec des juniors, puis 3 ans de travail avec Jérémy Chardy, le voici actuellement préparateur physique du numéro 6 mondial. En exclusivité pour nous, Frédéric s’est livré sur ses débuts avec certains joueurs, les caractéristiques de sa profession ou encore sa plus grande fierté dans le sport.

Pouvez-vous expliquer en quoi consiste le métier de préparateur physique et quel a été votre parcours personnel pour en arriver là aujourd’hui ?

F.L : Le métier de préparateur, c’est d’abord améliorer les qualités physiques du joueur de tennis ou de l’athlète. L’objectif est que le joueur soit meilleur physiquement, plus fort, plus rapide, plus endurant. Le tennis de haut-niveau requiert toutes ces qualités physiques, il faut donc optimiser ses points fort et améliorer ses points faibles afin d’être le plus performant. Il y a un deuxième aspect important dans la préparation physique : le préventif, c’est-à-dire veiller à ce que le joueur ne se blesse pas. Des exercices de renforcement musculaires, de mobilisation, d’étirements spécifiques au joueur et à l’activité sont mis en place. L’objectif étant de compenser tous les déséquilibres musculaires, raideurs et asymétries chez le joueur. Il y a énormément de blessures dans le tennis comme le dos, le genou, le poignet, la cheville. Elles sont dues au calendrier des tournois qui est ultra chargé et d’autres facteurs comme le changement permanent de surfaces, de balles, les décalages horaires, etc. La saison est longue et arriver à être performant à chaque tournoi et ne pas se blesser est un sacré challenge.
Au niveau de mon parcours, j’ai fait un bac scientifique. Ensuite, j’ai passé mon BE1 et BE2 tennis après avoir validé une maîtrise en Sciences du sport, j’ai fait un Master 2 ingénierie de l’entraînement à Bordeaux. Puis j’ai commencé à travailler à l’académie Mouratoglou qui à l’époque était située en région parisienne. Je suis resté 8 ans dans cette structure. Lorsque l’Académie a décidé de changer d’endroit et de s’installer dans le sud de la France, c’était le moment pour moi de faire autre chose. J’ai créé mon entreprise dans le Testing physique et l’élaboration de programmes d’entraînement pour le joueur de tennis. En parallèle, j’ai continué de travailler avec des joueurs sur l’ATP et le WTA Tour. Fin 2019, j’ai rejoint l’Académie Mouratoglou en tant que directeur de la préparation physique.

Comment avez-vous été amené à entraîner des joueurs de haut-niveau tels que Stefanos Tsitsipas ou encore Serena Williams ?

F.L : J’ai envie de dire que premièrement ce sont les opportunités, ensuite tu fais ton chemin, si tu es bon et travailleur tu avances, comme dans tous les métiers. Avant de travailler avec des joueurs de haut-niveau, j’ai commencé avec des jeunes joueurs qui évoluaient sur le circuit ITF Junior. Parmi ces jeunes, deux ont été numéro 1 mondiale junior (Daria Gavrilova et Yulia Putintseva). Elles sont actuellement sur le circuit WTA. Ensuite, j’ai travaillé avec Jérémy Chardy durant 3 ans, ce qui a été une expérience incroyable pour moi. C’est à ce moment que j’ai réellement découvert ce qu’était la vie sur le circuit ATP. Jérémy a atteint son meilleur classement soit n°24 mondial. Au fil du temps, ton réseau se développe, les joueurs qui évoluent sur le circuit ATP regardent comment tu bosses, et l’académie pour laquelle je travaillais me confiait des joueurs de plus en plus « forts ».
J’ai commencé à travailler avec Serena car Patrick Mouratoglou (son coach et fondateur de l’Académie Mouratoglou) m’a appelé pour que je m’occupe d’elle physiquement. À ce moment-là, je ne travaillais plus dans son académie mais pour ma boite de Testing. J’ai tout de même accepté, travailler avec Serena ne se refuse pas ! Ma collaboration avec Stefanos Tsitsipas a commencé car Serena est tombée enceinte, j’ai donc naturellement été mis sur la touche. Patrick est revenu vers moi en me disant : « j’ai un jeune grec à fort potentiel et j’aimerais que tu t’en occupes, dis-moi si ça t’intéresse ». J’ai regardé les matchs « du joueur grec » sur YouTube et je me suis dit, ce mec est un diamant brut, s’il s’améliore physiquement il sera top 5 tous les jours. J’ai rappelé Patrick, et voilà comment tout a commencé avec Stef. Quelques mois après, Serena m’a rappelé, j’ai dû faire un choix. Tout se passait bien avec Stef, il bossait bien, progressait (termine l’année n°92 ATP en 2017) et je voulais poursuivre cette histoire.

Actuellement, vous êtes le préparateur physique de Stefanos Tsitsipas, arrivez-vous à gérer tout ce travail et sentez-vous que votre vie personnelle est impactée par cela ?

F.L : C’est sûr que ce n’est pas évident, il y a beaucoup de choses à combiner comme la vie de famille, le travail à l’académie et le travail avec Stef. Ça fait maintenant presque 4 ans que je suis avec Stefanos Tsitsipas, il était 250e mondial et maintenant 5e mondial. On vit une belle aventure ensemble et il réalise un parcours incroyable donc c’est vraiment super. C’est vrai que ce n’est pas accessible à tout le monde le haut-niveau et je n’ai pas à me plaindre, au contraire. Lorsque l’on a un petit, ce n’est pas facile : je suis parti 3 semaines pour rentrer une semaine et là je repars 2 mois. Il y a des compromis à faire mais comme dans tous les métiers.

Si vous en avez une, quelle est votre spécificité en tant que préparateur physique ?

F.L : C’est de connaître très bien le côté kiné/anatomie et ses composantes. La préparation physique, ce n’est pas seulement améliorer les capacités physiques (cardio, vitesse, force) même si ça en fait partie évidemment. Il faut être compétent dans le domaine de la prévention (minimiser le risque de blessures) car ce sont des saisons longues. Je ne suis pas kiné mais j’ai de grosses connaissances dans le milieu et du coup j’allie les deux. Je pense que mon point fort est de sentir les choses, d’anticiper et de prévenir plutôt que de guérir, malgré le fait que je fais beaucoup travailler les joueurs. Tout est une question de dosage, de bon sens, de réflexion et de compétence.

Depuis le début de l’année, le monde traverse une crise sanitaire sans précédent. Quelles sont les conséquences du confinement sur votre profession ?

F.L : Il y a eu une interruption pendant près de 4 mois des compétitions sportives déjà, c’est-à-dire pas de match. Certes tu vas continuer à t’entraîner, mais enlever la compétition pour un compétiteur pendant 4 mois, c’est dur. Ne pas avoir d’échéance pour la reprise, essayer de garder une motivation journalière sans savoir quand va pouvoir se jouer le prochain tournoi, c’est pas évident. Lorsque le Tour a repris, le fait de jouer sans public c’est quelque chose de particulier aussi. La vie sur le circuit est complètement différente. Nous sommes dans des bulles, c’est très strict, nous sommes testés en arrivant et ne pouvons sortir qu’après avoir eu nos résultats 24 heures après. Nous sommes ensuite testés tous les deux jours, nous ne pouvons plus aller manger un soir à l’extérieur mais sommes contraint à rester dans nos chambres d’hôtel.

“Je voulais poursuivre cette histoire”

Selon vous, faut-il essayer de se diversifier ou une routine est justement recommandée dans la préparation sportive ?

F.L: Je dirais que diversifier ses séances c’est très important pour garder une motivation constante chez le joueur. J’aime bien commencer mes entraînements avec une page blanche, faire table rase et me dire qu’est-ce que je peux faire de nouveau dans cette séance ? On peut garder les mêmes objectifs, les mêmes axes de travail, mais approcher cela d’une manière différente. Il y a tout de même une certaine forme de routine dans nos entraînements, pour la récupération par exemple on sait ce qu’on va faire dans l’ordre : manger dans les 30 minutes suivant le match, bain froid si le match a été éprouvant, puis les soins avec du travail de mobilisation, stretching puis massage. Pour les échauffements ou le travail de renforcement quotidien que le joueur doit faire, il y a une routine qui est mise en mise en place. Pour les jeunes joueurs en formation aussi, il y a davantage de routines, elles ont l’avantage de cadrer leur organisation et que les choses soient faites correctement (car tout le monde n’a pas un préparateur physique).

Quelles relations avez-vous avec vos joueurs et sont-elles uniquement professionnelles ou justement vous parvenez à installer une certaine complicité ?

F.L : C’est pareil, ça dépend du joueur avec lequel tu travailles. Je travaillais avec Serena Williams et c’était purement professionnel, je faisais mes 2 heures d’entraînements et elle rentrait de son côté et moi de même. Il ne se passait pas grand-chose en dehors du terrain. Avec Stefanos Tsitsipas, c’est complètement différent. Je suis plus proche de lui, cela fait presque 4 ans que nous travaillons ensemble. Je me situerais entre le frère, le confident, le père et l’entraîneur. J’ai plusieurs casquettes. Mais je dirai qu’il y a les deux avec lui car il est super pro dans les séances, il ne joue pas sur l’affect pour tirer l’entraînement à la baisse. Il fait exactement ce que je lui dis et à côté, on est plus complice, on mange ensemble, on partage beaucoup plus de choses et c’est ce qui est intéressant aussi. Tu apprends à mieux le connaître ton joueur et cela te permet d’être bien plus efficace dans ton travail avec lui. Tout cela permet d’établir une relation de confiance, mais tout ce qui se passe en dehors du court c’est aussi mon travail, ça s’appelle le coaching.

Sportivement parlant, quelle est votre plus grande fierté et pourquoi ?

F.L : Il y a deux choses qui me viennent à l’esprit. Quand Stefanos Tsitsipas remporte les Nitto Finals l’an dernier à Londres. C’est le tournoi qui rassemble les 8 meilleurs joueurs mondiaux et, cette année-là, tous les plus grands étaient présents (Federer, Djokovic, Nadal, Thiem, Zverev, Medvedev, Berretteni). C’était incroyable de terminer l’année sur cette victoire. C’est aussi le plus jeune joueur à avoir remporté ce titre et la plus belle victoire dans sa carrière.
Le deuxième plus grand moment, c’est lorsqu’il bat Roger Federer à Melbourne il y a 2 ans en night session avec un match incroyable (6-7/7-6/7-5/7-6). C’est après cette victoire, en sortant le roi Roger et tenant du titre, que tout le monde a commencé à parler de Stefanos Tsitsipas et le voir comme le futur numéro 1. C’était un match incroyable. Sinon, ce n’est pas forcément de ses titres dont je suis le plus fier mais plutôt de l’ascension qu’il a eu. Ça fait presque 4 ans qu’on bosse ensemble, il avait 17 ans et était 230e mondial, actuellement il est 5e mondial. C’est le joueur qui a mis le moins de temps à rentrer dans le top 10 à partir du moment où il a gagné son premier point ATP (511 jours). C’est le seul de sa génération à avoir battu les 3 plus grands dont Nadal sur terre battue à Madrid. Auparavant, il avait le record du nombre de qualifications sur le circuit ATP (à l’époque il n’avait pas le classement pour rentrer directement dans le tableau et devait passer par les qualifications).

Quelles sont les difficultés de votre métier et comment parvenez-vous à les surmonter ?

F.L : C’est plus du côté famille, ce sont les voyages car je voyage plus de la moitié de l’année et ça n’est pas facile quand tu as un enfant, c’est très long. Surtout dans les conditions actuelles. Comment le surmonter ? Il y a WhatsApp(rires). Je l’ai choisi donc c’est mon style de vie et je faisais ça avant de connaître ma femme et d’avoir un enfant. Je fais ce métier, je le fais à fond et ce métier nécessite de voyager. J’ai cette chance de pouvoir faire ce job, même s’il y a des inconvénients, mais il y en a dans chaque métier. Je ne ferai peut-être pas ça toute ma vie mais pour l’instant je suis heureux de le faire.
Au niveau des difficultés du métier en lui-même, je dirais que c’est un métier volatile, ça peut être éphémère, tu peux vite sauter, tu as 0 sécurité. Ta durée de vie est beaucoup liée aux résultats, tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Il y a de la concurrence sur le circuit, beaucoup de gens envient ta place et sont prêts à te planter des couteaux dans le dos ou viennent solliciter ton joueur. Il suffit que les résultats ne suivent pas et c’est d’autant plus facile pour ces personnes de te faire sauter. Il n’y a aucune stabilité lorsque tu es préparateur physique pour un joueur.

Crédits photos : Mouratoglou Tennis Academy

Côme Viguié – 1 février

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :