Il y a de ces exploits qu’on n’oublie pas surtout lorsqu’ils sont inespérés. L’athlétisme français a connu des périodes sombres mais aussi des moments de gloire comme Kevin Mayer et son record du monde du décathlon ou encore Christophe Lemaitre, bronzé miraculeux aux JO de Rio 2016. Les puristes se souviennent évidemment de la « remontada » du relais 4 × 400 m féminin aux championnats d’Europe de Zurich 2014, on revient sur cette course unique en son genre.
Les forces en présence :
Sur le papier, les Françaises étaient loin d’être les grandes favorites même si la concurrence européenne est un tantinet moins intense que la concurrence à l’échelle mondiale. En premier lieu, les plus grandes rivales des tricolores n’étaient autre que les Britanniques emmenées par une Eilidh Child prometteuse et sur une phase ascendante. Celle-ci a notamment pris part au relais qui a décroché la médaille d’argent sur le 4 × 400 m lors des mondiaux de Moscou l’année précédente, derrière les intouchables Américaines mais surtout devant les Françaises. De plus, elle frappe un grand coup en s’adjugeant le 400 m haies en 54 s 48 juste avant de disputer le relais avec ses coéquipières, certes il n’y aura pas de haies mais la confiance sera de mise et elle pourrait être un grand atout. Eilidh est accompagnée de Kelly Massey, Shana Cox et Margaret Adeoye.
De l’autre côté, l’équipe tricolore n’est pas en reste avec des noms comme celui de l’expérimentée Muriel Hurtis, 35 ans à l’époque, pour qui il s’agissait de la dernière compétition continentale de sa carrière. Avec ses jeunes coéquipières, elle a décroché l’année précédente à Moscou le bronze sur le 4 × 400 m juste derrière leurs rivales britanniques, de quoi aspirer à un désir de revanche à l’occasion des championnats d’Europe de Zurich. À 24 ans, Floria Gueï a tout d’une future grande championne et pourra bénéficier de l’expérience de son aînée Muriel Hurtis, la jeune française a même remporté le 400 mètres des Jeux de la Francophonie en 2013, de quoi lui donner confiance. Hurtis et Gueï sont accompagnées de Marie Gayot et Agnès Raharolahy.
La course :
L’arène de Zurich est prête, le public se chauffe et le stade semble comble. L’Allemagne part au couloir 1, la Belgique au couloir 2, la Russie au couloir 3, la Grande-Bretagne au couloir 4, l’Ukraine au couloir 5, la France au couloir 6, la Pologne au couloir 7 et l’Italie au couloir 8 à l’extérieur. Côté français, Marie Gayot lance le relais et devra faire face aux assauts britanniques et ukrainiens. Au départ, le scénario se confirme avec Nataliya Pyhyda (UKR) qui rattrape d’emblée la tricolore et Eilidh Child qui porte son effort pour elle aussi passer devant. Avant le premier passage de témoin, la Pologne figure elle aussi en bonne place et Gayot réalise un bon finish avant de faire face à un souci de transmission du bâton.
Costaude et avec un grand gabarit, Muriel Hurtis se hisse provisoirement sur le podium en deuxième relais et tente de doubler l’Ukraine et la Russie à la corde. Dans la dernière ligne droite avant le troisième passage, la Grande-Bretagne revient très fort et passe la France sur la ligne, Hurtis est gênée pour transmettre le témoin à Agnès Raharolahy qui, malgré tout reste à la bagarre avec les Russes et les Ukrainiennes. Pendant ce temps, la britannique Shana Cox prend le large tandis que Hanna Ryzhykova (UKR) engage la poursuite et que la jeune française est à la lutte, son manque d’expérience va malheureusement lui faire perdre du terrain. À ce moment-là de la course, 5 équipes peuvent encore prétendre à la victoire et au podium, la France en fait partie mais reste menacée par la Russie et la Pologne.
Dernier passage de témoin, Floria Gueï est gênée par les athlètes qui s’arrêtent devant elle et se retrouve retardée par le trafic, à moins d’un exploit le podium Russie, Grande-Bretagne et Ukraine qui semble dessiné. C’est à ce moment-là que le rêve prend place, tout le monde y compris le célèbre commentateur Patrick Montel peine à y croire et pourtant, Gueï opère une remontada progressive. Dans l’avant-dernier 100 mètres, Adeoye (GBR) éprouve des difficultés et la française remonte à vitesse grand V, alors peut-être ? Son graal s’opère dans la toute dernière ligne droite, tout le monde retient son souffle et voit Floria Gueï gagner mètre par mètre, la russe est la première qui se retrouve doublée par la vague bleu blanc rouge. Par la suite, un trio va se battre jusqu’à la ligne, l’Ukraine cale et la Grande-Bretagne revient sur elle mais à leur droite, la française jette ses épaules en avant et devance tout le monde de peu.
« Je n’ai jamais vu ça ! » confiait Patrick Montel, visiblement aux anges comme beaucoup après cet exploit incroyable, unique en son genre et qui rend un magnifique hommage à la grande athlète qu’a été Muriel Hurtis pendant toute sa carrière. Leurs adversaires britanniques et russes sont sous le choc, à la fois de la performance tricolore mais aussi du fait qu’elles n’ont pas su tenir leur rang alors qu’elles disposaient pourtant d’une avance considérable au passage du dernier relais. Jamais personne n’avait remonté un tel écart dans l’histoire !
Le chiffre à retenir : 12,08
Il s’agit de l’écart maximal entre le trio de tête et Floria Gueï dans le dernier 400 mètres, écart qu’elle va abaisser à 9 m 71 au sortir du dernier virage et à l’aube de la dernière ligne droite. En effet, elle possède en 12”40 le meilleur temps du virage 2 soit trois dixièmes de moins que l’Ukraine et la Russie. En allongeant ses foulées et en passant moins de temps au sol, Gueï réussit à gagner du terrain rapidement pour ensuite réaliser la prouesse que l’on connaît.
Quels enseignements en tirer ?
Dans un premier temps, c’est un magnifique hommage à Muriel Hurtis qui avait annoncé tirer sa révérence à l’issue de ce relais 4 × 400 m. La française qui s’était consacrée à des distances plus courtes par le passé où elle avait notamment été championne d’Europe du 200 m en 2002 s’est finalement reconvertie en 2010 sur le 400 mètres. Sans aucun titre majeur sur cette distance, ce sacre européen vient récompenser une carrière constante, faite de hauts comme de bas et qui s’en va par la plus grande des portes.
Aussi, cette médaille d’or vient venger Floria Gueï qui, quelques jours plus tôt, avait été éliminée dès les ½ finales du 400 mètres. Après cette déception en individuel, elle a su se surpasser malgré une situation incroyablement difficile à renverser pour appliquer tout ce que son coach lui apprend et ainsi réaliser la course (presque !) parfaite dont elle rêvait plus tôt dans la compétition mais qu’elle a su sortir pour le collectif. À ce jour, cela reste sa plus belle performance collective mais également en carrière, pas forcément de par la manière mais aussi en termes de prestige.
Ainsi, le relais 4 × 400 m féminin de Zurich 2014 a écrit sa propre histoire par cette « remontada » et un état d’esprit irréprochable sur cette finale. La vidéo de la dernière ligne droite de Gueï sera certainement montrée de manière récurrente dans les écoles d’athlétisme pour, qui sait, réécrire l’histoire à nouveau.
Crédits photos : France TV Sport, Sportmag, BBC, Zimbio et Libération