Accueil » Le jour où…la Roma a réalisé l’inconcevable

Réunissant tous les grands clubs européens, la Ligue des Champions n’a jamais exempté le public de surprises historiques. Aujourd’hui dans ce troisième volet de « le jour où… », nous nous attaquons à un des mythes de cette dernière décennie. 10 avril 2018, AS Roma – FC Barcelone, quart de finale retour de Champions League. Ce match ne vous rappelle-t-il rien ? Récit d’un match qui restera à jamais, de part et d’autre et d’une manière assez distincte, gravé mémorablement dans l’histoire du football.

Les forces en présence :

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Bord-terrain, les esprits s’échauffent. Le match a-t-il un véritable intérêt ? Une semaine auparavant, le Barça s’imposait chez lui dans un Camp Nou aussi grandiose qu’intimidant face à un timide adversaire romain. Au fond, les Blaugranas étaient les grandissimes favoris et, de par un score sans appel (4-1), ils ont suivi magistralement la logique. Vers un match retour de nouveau à sens unique ? La Roma doit s’imposer à minima 3 à 0 pour rêver au dernier carré de Champions League. Inimaginable. Depuis le début de saison, que ce soit en Liga ou en Champions League, le Barça marche sur l’eau, ainsi ce match retour n’est qu’une formalité. De fait, le raisonnement parait logique, la rencontre sur le papier n’a pas un véritable intérêt. Toutefois, il s’avère qu’il faut toujours croire à l’inconcevable, nous l’allons montrer tout à l’heure.
19 h 45, 10 avril 2018, soit une heure avant l’échéance, comme à l’accoutumé les compositions sont arrivées. Côté Barça, Ernesto Valverde concocte un 4-4-2 et laisse Ousmane Dembélé sur le banc. Ter Stegen est dans les cages ; Gérard Piqué et Samuel Umtiti constituent la charnière défensive ; Nelson Semedo est latéral droit et Jordi Alba est latéral gauche. Au milieu de terrain, le quatuor est composé – de droite à gauche – de Sergi Roberto, Serge Busquets, Ivan Rakitic et Andres Iniesta. Lionel Messi et Luis Suarez sont tous les deux alignés à la pointe de l’attaque. Du côté de l’outsider romain, Eusebio Di Francesco fait le choix d’aligner un 3-5-2. Ainsi, Alisson sera le gardien de but ; le trio défensif est composé de Kostas Manolas, Frederico Fazio et Juan Jesus. Alessandro Florenzi, Daniele De Rossi, Aleksandar Kolarov, Radja Nainggolan et Kevin Strootman constituent le quintet du milieu de terrain. Comme chez l’adversaire, la Roma aura deux attaquants : Edin Dzeko et Patrik Schick. Même sans changements importants, les compositions sont finement analysées au cours de la dernière heure.

Il est désormais environ 20 h 45, la nuit tombe petit à petit et le Stadio Olympico est plongé dans le noir. Les joueurs entrent dans le couloir, peaufinent les derniers détails, se concentrent et patientent. L’arbitre arrive, les joueurs se placent en file indienne et tendent la main à des enfants émerveillés, ils entrent sur le terrain dans une clameur des grands soirs. L’arrangement du somptueux « Zadok the Priest » composé par Georg Friedrich Haendel résonne dans le stade et fait frémir supporters et joueurs. Le protocole de salutations est fini, les 22 acteurs sont sur la pelouse, prêts à en découdre. Le coup de sifflet de Clément Turpin retentit dans le stade, le coup d’envoi est donné.

Le match :

3 (90 min)

Au fond, tout le monde croyait au miracle. Les supporters chantaient à n’en plus pouvoir, le coach romain avait concocté une tactique étouffante afin de contrer l’armada blaugrana. La tactique est simple, certes, mais elle n’en est pas moins efficace : pressing constant et haut, garder le plus possible le ballon afin de faire courir une équipe qui n’y est pas habituée à la normale et bien évidemment, tenter un maximum de tirs. Et la tactique s’avérera payante.
6e minute, premier coup d’éclat. Grâce à une superbe ouverture de Daniele De Rossi, le bosniaque Edin Dzeko remporte son duel face à Ter Stegen et ouvre le score. L’AS Roma mène ainsi 1-0 et le miracle devient un peu plus plausible. Durant toute la première mi-temps, les Catalans ont souffert, oppressés par une armada romaine plus que compétitive. Il est tout de même bon de noter en faveur du Barça les deux coup-francs non-cadrés de la « Pulga » Messi (10e et 40e minutes). Deux coups de sifflet, les joueurs rentrent au vestiaire et les supporters semblent satisfaits du spectacle. Ils ne sont pas encore au bout de leur surprise…

Il est dans les alentours de 21 h 45 et les joueurs rentrent sur le terrain pour le second round. 45e minute, la balle est aux Gialorossi et la défense catalane continue de souffrir. C’est une torture longue, la première brèche est ouverte par Patrik Schick qui perd finalement son duel face à Samuel Umtiti dans la surface de réparation adverse. Mais l’erreur était inexorable, elle survient à la 56e minute. Ouverture de Nainggolan cette fois-ci pour le même buteur bosniaque, les images de l’ouverture du score surviennent subitement dans la tête du capitaine espagnol Gérard Piqué. Il faut effectuer ce que l’on n’a pas su faire. Résultat : Piqué commet une grossière erreur dans la surface de réparation. La sentence est irrévocable, Clément Turpin indique impérialement le point de pénalty et offre comme présent un scintillant carton jaune au capitaine espagnol. Valverde tremble, Barcelone tremble. Le Stadio Olympico explose, les joueurs sur les terrains se réunissent à l’exception d’un seul : Daniele De Rossi, en valeureux capitaine et leader, qui prend le ballon et s’apprête à défier Ter Stegen. Le suspense est à son comble, les autres joueurs sont placés en dehors de la surface et l’arbitre siffle. Ce n’est pas passé loin… pour Ter Stegen. Parti du bon côté, il ne peut pas mieux faire et laisse les romains prendre le large. Il ne manque alors plus qu’un but, un seul, et la qualification est dans la proche. Qui l’eût cru ? À ce moment, les commentateurs sont subjugués, impressionnés par la force et l’honneur des Gialorossi.

Il ne reste plus qu’environ 30 minutes de souffrance pour les catalans. Mais le malheur arrive, les joueurs adverses sont sur une autre planète ce soir-là. 82e minute, alors que l’on s’approche de la fin du match, la Roma réalise l’inconcevable. 3 minutes auparavant, Stefan El-Shaarawy avait contraint Ter Stegen à un sauvetage exemplaire afin de ne pas amocher davantage le chemin vers les demi-finales. Mais 3 minutes plus tard, sur un corner tiré par le tout fraîchement rentré Cengiz Under, Kostas Manolas inscrit le 3e but d’un coup de tête magistralement posé. Réaction euphorique dans le clan romain tandis que la tristesse et l’amertume règnent de l’autre côté. Le défenseur grec ainsi que ses coéquipiers accourent auprès du banc de Di Francesco. Les fervents supporters romains sont en transe, incapable de rester assis. Mais les festivités sont ajournées, il reste encore une bonne dizaine de minutes et le Barça, rongé par le désespoir, peut avoir un inquiétant sursaut d’orgueil. Sursaut ? Peut-être pas, mais les Gialorossi ont tremblé, Eusebio Di Francesco était intenable et les supporters également. Dans les alentours, la fête commence déjà mais ce n’est pas fini. Les secondes deviennent des minutes, les minutes quant à elles deviennent des heures. Valverde fait le choix tardif de faire rentrer la fusée Dembélé.
92e minute, le Stadio Olympico retient désagréablement son souffle. Après de nombreuses chevauchés conquérantes mais hasardeuses de la part de Leo Messi, Dembélé ébranle le stade. En dehors de sa surface, Alisson vient à la rencontre de Gérard Piqué alors qu’il était monté afin de profiter d’une légère erreur romaine de transmission. Finalement, le gardien brésilien arrive à repousser le ballon, de nouveau un coup de frayeur écarté ? Eh bien non. Le ballon tombe dans les pieds d’Ousmane Dembélé le fameux et en opportuniste, le joueur français essaye d’atteindre d’une frappe lobée les cages vides de l’AS Roma. La balle semblait être en lévitation, sa retombée n’a jamais été aussi longue. But ou pas but ? Finalement, la balle tombe juste au-dessus des cages, ouf. À la fin du temps additionnel de 4 minutes, trois coups de sifflet résonnent dans le stade, et dans Rome. L’AS Roma effectue une remontada et se qualifie pour les demi-finales de Champions League. Le Stadio Olympico explose, l’euphorie gagne l’entièreté des joueurs romains tandis que du côté adverse, on veut oublier cette issue cauchemardesque. En cette soirée du mois d’avril, une page de l’histoire du football a été écrite. Il sera attribué un mot, un seul, à cette merveilleuse soirée : historique. La magie du football a de nouveau fait des siennes ce soir-là.

Le chiffre à retenir : 3

Au sortir du match, l’AS Roma était la troisième équipe à se qualifier en Ligue des Champions après avoir perdu par au moins trois buts d’écarts à l’aller. Les deux autres équipes sont la Corogne face à l’AC Milan en 2003-2004 (1-4/4-0) et le Barça face au PSG en 2016-2017 (0-4/6-1). L’arroseur arrosé en un sens.

Quels enseignements en tirer ?

4 (Sportsnet)

C’est irrévocable, le grand FC Barcelone favori à la victoire finale est tombé, un an après la déroute à ce même stade de la compétition face à une autre équipe italienne : la Juventus de Turin. Les supporters sont dévastés, Ernesto Valverde n’en revient pas et les joueurs sont à terre. Pendant ce moment d’amertume, les romains fêtent leur exploit sur le terrain avec leurs admirables partisans et dans les vestiaires. En dehors du stade, place aux festivités, l’ogre catalan a chuté. En conférence de presse, Valverde, rongé par la colère, le dégout et la déception, s’exprime solennellement : « c’est moi le responsable, celui qui fait l’équipe, qui la prépare. C’est le cas qu’on gagne ou qu’on perde. J’ai mis la même équipe qu’il y a une semaine. On avait bien joué, on avait marqué quatre buts. Mais cette fois ils ont été très bons, bravo à eux. » Le mal est fait désormais, le retour en arrière est impossible et le Barça doit aller de l’avant. La Roma quant à elle, va poursuivre sa chevauchée là où Barcelone devait immanquablement figurer. Mélancolie profonde en Catalogne.

Attristé mais aussi désespéré, Andres Iniesta a du mal à le croire, à la fois abasourdi, profondément atteint et humilié. À chaud en zone mixte, il se permet d’émettre une phrase choc : il indique qu’il s’agit « peut-être » de son « dernier match en C1 ». Le froid est tombé, la défaite est d’autant plus indigérable. Le Barça devra désormais se contenter de la Liga, triste mais important lot de consolation. Touchés en plein cœur, les Blaugranas vont devoir rapidement tourner la page afin de ne pas être rongés par le désespoir. Mais Barcelone, et c’est un fait, ne progresse plus en Ligue des Champions. Après avoir été titré lors de la saison 2014-2015 avec une MSN en fusion, le FCB et ce durant les trois saisons suivantes n’a pas dépassé le stade des ¼ de finale en C1, problématique en effet pour un géant d’Europe. Avec une attaque amputée de Neymar, parti lors de l’été 2017 au PSG, le secteur offensif du FC Barcelone est de moins en moins flamboyant. Finalement depuis le départ du brésilien, la stabilité offensive n’a jamais été retrouvée même avec Ousmane Dembélé ou Philippe Coutinho. Bref, le Barça a changé, une nouvelle ère commence ainsi. Quand est-ce que le grand FC Barcelone retrouvera son niveau d’antan ? Peut-être jamais, peut-être prochainement, telle est une question sans réponse.
Le contraste est particulièrement marqué lorsque l’on pénètre à l’intérieur du vestiaire romain. Ce sont les vainqueurs, ils chantent à tue-tête, la célébration est grandiose, c’est l’ambiance des grands soirs. La Roma est en demi-finale de Ligue des Champions, à la fois impensable et mémorable. En conférence de presse, Eusebio Di Francesco dresse un constat plein de sagesse : « aujourd’hui c’est un grand moment mais on ne doit pas s’en contenter. On doit viser Kiev (NDLR : la finale). Pourquoi ne pas croire à quelque chose d’encore plus grand après un match pareil ? C’est ça qu’on doit faire. Les matches européens nous donnent quelque chose en plus. En championnat, on doit s’améliorer. On doit apprendre à traiter tous les matchs avec la même attention. Je pense déjà au derby. » Il faut croire à quelque chose d’encore plus grand, la Roma le peut. Les joueurs romains auront démontré ce soir-là que l’impossible est toujours possible, que travail tactique et technique acharné payent bien un jour. Dominés en championnat par une Juventus surpuissante, les louveteaux de Rome s’échappent en milieu de semaine et profitent d’une soirée de gloire, de joie et de victoire tout simplement. Des étoiles plein les yeux, les jeunes supporters romains se souviendront à jamais de cet exploit. Leur club est au premier plan après ce succès, un fait rare.
Un peu plus tard, les romains apprendront que leur adversaire Liverpool sera aussi leur bourreau. Malgré un très beau match retour, les italiens seront stoppés dans leur élan. Mais au fond, ils n’oublieront jamais ce qu’ils ont réalisé et c’est le principal. En Espagne, on veut tout oublier, changer la hiérarchie, tout recommencer à zéro, mais ce n’est pas si facile.

Coriaces, les barcelonais vont tourner la page, ne voulant plus subir une telle humiliation en Ligue des Champions. « Plus jamais ça » : lors de la fin de saison 2017-2018, la doctrine est alors construite. Un an après, elle sera brisée.

Crédits photos : L’Alsace, Goal, La Croix, 90 min et Sportsnet

 

Antonin Fromentel – 11 mai

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