Accueil » Le ski de fond français entre renouveau et ambition

Le biathlon a remis les sports d’hiver au goût du jour mais derrière, le ski de fond est également de plus en plus porteur et une véritable dynamique s’installe du côté des fondeurs tricolores. Qui de mieux pour nous en parler que Cyril Burdet qui est l’entraîneur de l’équipe de France de sprint masculine !

Quel début de saison pour les Bleus ?

La première partie de saison fut plutôt bonne dans l’ensemble pour les français, 5 podiums dont 2 victoires avec le team sprint à l’origine de toutes ces performances par l’intermédiaire de Lucas Chanavat et Richard Jouve. Ce premier ne cesse d’épater à 25 ans, il est actuellement en tête du globe de la spécialité sprint et semble être le principal opposant au redoutable Johannes Klaebo (NOR) qu’il espère battre “à la régulière” sur un sprint. Quant à Richard Jouve, c’est sa régularité qu’il faut souligner, lui qui compte deux podiums actuellement et qui ne risque pas de s’arrêter en si bon chemin malgré des mésaventures comme une chute en 1/4 de finale à Dresde (ALL). De plus, Renaud Jay se glisse en embuscade, lui qui passe très souvent le cap des qualifications de chaque sprint et qui a été très brave sur le Tour de Ski luttant jusqu’à lavant-dernière étape avant d’abandonner. Sa récompense fut le succès en Team Sprint à Dresde accompagné de Lucas Chanavat devant la Suède et la Russie, lui aussi sera à surveiller par la suite car il n’est pas à l’abri d’une bonne surprise.
Côté distance, le bilan est vierge puisque les Bleus n’ont pas réussi à obtenir le moindre podium. Néanmoins, cela est tout à fait justifiable par le fait que la Norvège et la Russie semblent inaccessibles avec Alexander Bolchunov ou encore Sergey Ustiugov. Maurice Manificat n’a plus forcément les jambes d’antan mais il reste très régulier tout comme ses coéquipiers, alors que Clément Parisse voudrait confirmer son potentiel à 26 ans. Cependant, de jeunes pépites arrivent avec Hugo Lapalus entre autres qui s’est affirmé en terminant 10e de l’ascension du terrible Alpe Cermis lors du Tour de Ski. La relève se construit petit à petit alors que d’autres arrivent à maturité, il faudra scruter cette évolution qui s’annonce très intéressante.

Cyril Burdet s’est confié à nous sur la forme actuelle de son équipe, l’état du ski de fond en France et notamment la formation ou encore les différents styles de ski

Si vous deviez qualifier l’équipe de France en 3 mots…

Cyril : Le premier mot qui me vient est variété car elle possède beaucoup de tempéraments et de personnalités différentes, des expérimentés ou des jeunes en devenir. Le deuxième est ambitieux car quel que soit leur âge, ils ont tous la volonté de performer au haut niveau et je dirais collectif pour le troisième, la performance individuelle passe par le collectif.

Quelle est selon vous la victoire la plus marquante de l’équipe et en quoi est-elle différente des autres ?

Cyril : Je dirais que la victoire de Vincent Vittoz à Oberstdorf en 2005 (NDLR : champion du monde de la poursuite) car c’est un élément important, cette génération est à l’origine de ce qu’on connaît et ce qu’on vit aujourd’hui au niveau de l’équipe de France. Cette performance est à ce jour inégalée et c’est ce qui me semble primordial à ne pas oublier, il a ouvert la voie et a tracé le chemin de ce que vivent les plus jeunes athlètes.

Cette saison voit la France se placer sur le podium à plusieurs reprises en Coupe du Monde. En tant qu’entraîneur du team sprint, quel bilan dressez-vous de cette première partie de saison ?

Cyril : Pour l’équipe de sprint le bilan est exceptionnel dans le sens où il y a eu 6 sprints en comptant ceux du Tour de Ski avec une majorité de l’effectif absent sur le dernier des deux et nous comptons 5 podiums dont 2 succès. On courait après une victoire depuis un petit moment, tous les signaux sont au vert et nous espérons poursuivre dans ce sens-là. Je ne suis pas surpris des résultats, tout s’est construit dans le temps et depuis les six années que je les entraîne, la dynamique de progrès est évidente. Quand des athlètes comme Lucas ou Richard arrivent à maturité, ils peuvent exprimer tout leur potentiel et sont capables de l’emporter.

FIS Skilanglauf-Weltcup in Dresden

Quels sont les objectifs à venir pour la suite ? Une performance en Coupe du Monde est-elle jouable ?

Cyril : Pour le moment, le mot d’ordre est de vivre les étapes chacune après les autres et de ne pas forcément se projeter sur un classement général. Lucas est en tête actuellement du classement de sprint donc il y a logiquement de l’ambition pour la course au globe en fin de saison, mais c’est trop tôt pour l’instant. La priorité est de viser des victoires sur les épreuves qui se présentent, une fois que l’on sera à Québec nous verrons si nous avons une carte à jouer.

Lucas Chanavat prouve qu’il monte en puissance, le pensez-vous capable de venir à bout de Klaebo prochainement et quels facteurs joueraient en sa faveur ?

Cyril : Jusqu’à présent il est celui qui s’est montré le plus dangereux pour Klaebo, il a déjà été en mesure de le battre à Davos où il s’est incliné de justesse, ce n’est pas encore le cas. Je ne vois aucune raison pour laquelle il ne pourrait pas faire basculer les centimètres de son côté, il y a toujours une part de réussite dans toute performance. Si Lucas en est là aujourd’hui, c’est que le travail fourni va dans le bon sens et qu’il lui permet de se rapprocher de ce qui se fait de mieux en sprint actuellement. Généralement, les meilleurs athlètes sont au rendez-vous et tout doit être réuni pour battre le norvégien.

3 (Le Dauphiné)

“Tout se construit dans le temps”

La Norvège et la Russie ont pris une avance considérable sur les autres pays depuis longtemps, comment pourriez-vous justifier un tel écart entre ces deux nations et les autres ?

Cyril : Beaucoup d’éléments rentrent en ligne de compte, d’abord l’aspect culturel et la quantité de pratiquants dans ces deux pays est bien plus importante, il y a une véritable culture du ski de fond en Norvège qu’il existe nulle part ailleurs. La Suède n’est pas très loin mais pas tout à fait au même niveau ces dernières années, ces deux équipes ont aussi des moyens financiers quasiment illimités. Après en terme de moyens, beaucoup de pays travaillent bien car tout le monde cherche à se rapprocher des standards pour aller plus haut, on joue avec nos armes et on s’en tire plutôt pas mal. Beaucoup de nations nous regardent avec envie quand elles voient le nombre d’athlètes performants que nous sommes capables d’aligner, que ce soit chez les hommes ou même progressivement chez les filles. C’est le fruit d’un système de formation qui fonctionne plutôt bien avec des clubs dynamiques et des équipes régionales performantes, puis derrière des équipes de France junior et espoir qui les rendent plus forts de manière plus précoce et sans complexes.

Comment la France s’y prend-elle pour former les futurs fondeurs de demain ? Est-ce que le système de formation actuel est efficace à vos yeux ?

Cyril : Je regarde avec un bon œil la formation qui s’opère chez les plus jeunes, il y a forcément des points à améliorer mais globalement ça fonctionne bien, en bons français on perçoit toujours le négatif mais me concernant je retiens surtout le positif. On a des clubs qui sont motivés et qui donnent l’envie aux enfants de prendre du plaisir à glisser, les plus âgés qui débutent la compétition et qui veulent devenir professionnels peuvent intégrer des pôles espoirs et des équipes régionales. Celles-ci apportent un très bon contenu de formation aux jeunes athlètes en construction, l’alignement d’une équipe de France junior puis espoir peaufine le travail et permet d’avoir des résultats régulièrement très bons ce qui est bon signe. On veut faire respirer le collectif Coupe du Monde, certains sont protégés par leur statut mais il y a un turn-over avec des skieurs qui performent en Coupe d’Europe notamment Jules Chappaz et Hugo Lapalus qui ont gagné leur ticket récemment pour le Tour de Ski. Cela leur permet de s’exprimer sur le circuit mondial, on fonctionne comme ça dans toutes les disciplines que ce soit la distance ou le sprint.

4 (Nordic Focus)

Quelles sont les différentes caractéristiques du classique et du libre, y en a-t-il une plus difficile que l’autre ?

Cyril : Le classique est la pratique historique du ski de fond, les deux pieds sont parallèles la majorité du total et il y a une partie sous le ski qui est destinée à faire accrocher pour avoir une motricité dans l’axe avec depuis quelques années des traces sur les pistes. Quant à lui, le ski libre est aussi appelé « skating » qui est une technique de patinage avec des skis préparés à la glisse tout du long sans possibilité de marcher, cela existe depuis les années 1980. On pourrait dissocier les deux styles par des contraintes techniques en classique qui sont sanctionnables par des cartons jaunes puis rouges attribués par un jury, un petit peu comme au football.

Constatez-vous un manque de médiatisation de votre sport ? Est-ce qu’une étape mondiale en Coupe du Monde en France ferait avancer la cause ?

Cyril : C’est une évidence que le ski de fond n’est pas médiatisé de manière très importante, quelques médias nous suivent régulièrement mais comparé à nos cousins du biathlon, on va dire que l’on est très largement en deçà. Avoir une coupe du monde est un objectif et un élément qui peut forcément être moteur pour intéresser les médias nationaux, une étape est prévue l’année prochaine du côté de Prémanon (probablement 6 courses en 2021). La fédération internationale de biathlon a rendu plus accessible au grand public la pratique et aussi l’accès à l’information en direct, c’est là qu’ils ont pris de l’avance. La complexité du ski de fond peut rendre difficilement compréhensible les spécificités de la discipline et ses différents styles comme on en parlait avec le classique et le libre.

Si vous aviez un rêve, quel serait-il ?

Cyril : C’est très simple, c’est ce qui me fait lever tous les matins et me motive à aller au travail en ce-moment, c’est la médaille olympique sur le sprint individuel à Pékin en 2022. Quand je vois la qualité de notre équipe c’est quelque chose qui me semble réalisable, les années passent tellement vite que c’est presque demain.

Merci Cyril de vous être confié à nous, bonne deuxième partie de saison à toute l’équipe !

Crédits photos : Cyril Burdet, Wikipédia, Le Dauphiné/Ski Chrono et Nordic Focus

 

Pavel Clauzard – 15 Janvier

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