Accueil » Le tennis du futur ou l’obsession du changement

Milan, samedi 13 novembre 2021, Carlos Alcaraz Garfia remporte les Next-Gen ATP Finals en dominant une nouvelle fois de la tête et des épaules son adversaire du jour, Sebastian Korda. L’espagnol conclut en beauté une semaine quasi-parfaite qui vient confirmer les nombreux espoirs placés en lui. Classé 140ᵉ mondial en début de saison, il occupe désormais le meilleur classement de sa jeune carrière : 32ᵉ ATP, à seulement 18 ans. Ce tournoi, qui a été inauguré en 2017, détonne par ses règles atypiques et sa nouvelle vision du tennis. Ces compétitions ont été mises en œuvre afin d’attirer un auditoire plus jeune et pour redonner un coup de boost à un sport se disant « vieillissant ». Les Reporters ont analysé ce à quoi pourrait ressembler le tennis de demain.

UN DÉSIR DE MODERNISATION ESTHÉTIQUE

À l’origine, le digne ancêtre du tennis permettait à quelques moines de pratiquer un peu d’exercices. De nos jours, ce sport est une des disciplines les plus médiatiques et les plus attractives, alimentant grandement l’ensemble de l’économie mondiale. Les mots d’ordre sont clairs, nets et précis : plus vite, plus simple, plus télégénique. L’exemple le plus marquant est celui de la Laver Cup, créée par Roger Federer, où la salle est plongée dans l’obscurité, laissant apparaître un court soigné et un design épuré. Les instances misent sur une image qui attire l’œil, que ce soit pour celui qui est présent en tribunes ou pour celui qui est fasciné par le spectacle derrière son écran. Ici, on ne parle plus de simples matchs, mais bien d’un show destiné à faire lever les foules.
L’UTS (Ultimate Tennis Showdown) adopte également des codes cassant ces standards. Les terrains sont dépossédés des lignes de couloirs et les tableaux d’affichages sont tout droits issus de jeux vidéo tels que Street Fighter. Les joueurs sont présentés sur les réseaux sociaux comme des super-héros possédant des spécificités qui leur sont propres. Le créateur du concept, Patrick Mouratoglou, indique sa volonté de « rendre l’expérience la plus immersive possible », avec une caméra placée proche des joueurs pour que lestéléspectateurs se rendent compte de la vitesse de jeu. C’est comme si nous étions dans leurs têtes et leurs corps, un peu l’impression d’être assis à côté du pilote de F1 dans sa voiture. L’idée d’une focalisation plus rapprochée est intéressante et porteuse d’un certain intérêt pour se rendre compte réellement de ce qu’un match professionnel implique physiquement, mentalement, tactiquement et techniquement.

L’ADOPTION DE NOUVELLES RÈGLES ET DE FORMATS SUR L’ENSEMBLE DU CIRCUIT ?

Les organisateurs de ce type d’évènements ont la volonté d’accélérer le rythme du jeu, notamment en réduisant les temps morts avant le début des matchs et entre les points. Statistiquement, le jeu en lui-même ne représente que 30 %, contre 70 % en ce qui concerne les pauses entre les points et les changements de côtés. Le tournoi expérimental de la Next-Gen ATP Finals est le lieu de toutes les modifications traditionnelles. Parmi les plus notables, on peut citer la réduction des échauffements à une minute, l’autorisation d’être coaché et le nombre de Medical Time Out limité à un seul. Un match se joue en 4 jeux gagnants avec un point décisif à 40-40 et un tie-break à 3-3. Ces nouvelles mesures sont dans la continuité d’une réduction de temps des matchs pour offrir uniquement au consommateur les « meilleurs moments ».
La comparaison avec les highlights, ces vidéos circulant sur YouTube, où seuls les meilleurs moments sont montrés, est toute trouvée. Les réactions à ces nouvelles manières de jouer des matchs sont plutôt positives, Sebastian Korda, le récent finaliste de l’édition 2021, indique « qu’il faut une plus grande concentration, car un seul break est crucial pour le set ou même le match ». Le coaching est également approuvé par l’italien Lorenzo Musetti, qui indique que « c’est vraiment une bonne chose, on doit l’implémenter sur le Tour ».

Le coaching sur le court est un débat des plus controversés qu’il soit. Son intégration transforme littéralement une partie, un joueur malmené par son adversaire du jour, qui peut repartir de l’avant grâce à des conseils tactiques que son entraîneur aura décelées en observant le match. Les accompagnants de vie de l’athlète sont mis en lumière et ne sont plus du tout des personnes de l’ombre. Le monde de la petite balle jaune est sous pression pour corriger ses règles ancestrales sur l’ensemble du Tour. Pour l’actuel numéro 3 mondial Stefanos Tsitsipas, ces règles apportent une « bouffée d’air frais au tennis, cela va révolutionner ce sport et l’amener dans une autre dimension ». L’évolution de ce sport est en adéquation avec une société, de plus en plus axéesur l’instantanée et l’amusement. Les interrogations résident dans la capacité aux instances à donner un second souffle à ce sport, sans pour autant le dénaturer.

LES GRANDS CHELEMS, PAS TOUCHE AU GRISBI ?

Les grands chelems, qui sont la quintessence de ce que ce sport peut véhiculer, ne parviennent pas à accorder leurs violons. Entre le super tie-break du côté de l’US Open, le cinquième set sans limite Porte d’Auteuil et l’instauration d’un tie-break à 12-12 à Wimbledon pour ne plus « souffrir » d’une durée de matchs à rallonge, les organisateurs ont du mal à trouver un juste milieu. L’aspect dramatique et insoutenable des matchs souhaite être progressivement remplacé par un condensé de fulgurances, pour rendre le tout plus attrayant et excitant. Les fans présents en tribunes doivent vibrer, les silences de cathédrales en Angleterre ne faisant plus rêver.
Les tournois les plus prestigieux, qui ont livré les batailles les plus mémorables, ne peuvent proposer un format plus court, sous peine de détruire le suspens insoutenable qu’ont pu proposer les meilleurs joueurs du circuit.

Il ne fait aucun doute que certaines règles doivent être remises à neuf pour évoluer avec leurs temps, mais la prudence est de mise pour ne pas s’engouffrer dans une direction où le tennis perdrait de sa valeur culturelle et morale…

Crédits photos : First Sports, Radio Lac, New York Times et Europe 1

Florian Ignace – 22 janvier

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