Troisième volet de la rubrique « Les révélations de la saison », nous prenons aujourd’hui la direction de l’Espagne à la découverte de Getafe. Le club de la banlieue madrilène fondé en 1983 n’a accédé à la Liga pour la première fois de son histoire qu’en 2004. Pourtant depuis deux saisons, il impressionne que ce soit en championnat en s’octroyant le luxe de finir devant le Séville FC l’année dernière ; ou en Europa League, éliminant cette année l’Ajax qui fut demi-finaliste de la dernière Ligue des Champions. Comment ce club modeste (5e plus petit budget de Liga en 2018-2019 avec 39 millions d’euros) se retrouve aujourd’hui en passe de concurrencer les plus grands clubs espagnols ? Analyse des forces en présence.
Des coups d’éclats qui ne datent pas d’aujourd’hui
Après une très bonne saison 2018-2019 et une 5e place en championnat lui offrant une qualification européenne, le club semble être entré dans une nouvelle dimension cette année. Au moment de l’interruption du championnat, Getafe occupait à nouveau la cinquième place après 27 journées mais à un petit point seulement de la troisième occupée par Séville. Le club se classait même comme deuxième club de Madrid devançant le grand Atlético de Simeone. Un classement qui pouvait donc commencer à faire espérer à cette équipe une première participation en Ligue des Champions. Bourreaux de l’Ajax Amsterdam (2-0) dans leur antre du Coliseum Alfonso Pérez (17 000 places) en seizièmes de finale aller de la Ligue Europa, les getafenses commençaient également à rêver d’un beau parcours européen à l’instar du Deportivo Alavés par exemple en 2001.
Si le club est récent et ne possède pas de réel palmarès mis à part des titres dans les divisions inférieures, ce n’est pas pour autant son premier coup d’éclat sur la scène européenne. Avant d’être racheté en 2011 par « Royal Emirates Group », consortium émirati, il avait déjà brillé en coupe de l’UEFA qui est l’ancêtre de l’Europa League. Pour la première fois de son histoire en 2008, Getafe atteint les quarts de finale de la Coupe de l’UEFA. Au match aller, les joueurs réalisent une bonne rencontre face au Bayern Munich et obtiennent un nul inespéré grâce à une égalisation en fin de temps réglementaire. Au match retour, le Bayern est favori et dès la 5e minute, le joueur vedette de Getafe Rubén de la Red se fait exclure. Les joueurs de Getafe évoluent uniquement en contres, cette technique semble porter ses fruits puisque le club espagnol ouvre inespérément le score juste avant la mi-temps.
Ils croient alors en la victoire mais à la 89e minute de jeu, Franck Ribéry égalise d’une superbe reprise de volée (1-1). Pourtant à bout de souffle et assommé par cette égalisation tardive, le club madrilène entame la prolongation tambour battant. En l’espace de deux minutes, l’équipe alors entraîné par la légende danoise Michael Laudrup (vainqueur de l’Euro 1992) croit s’adjuger le ticket pour le dernier carré. Entre la 91e et la 93e minute, Getafe trouve en effet par deux fois le chemin des filets dans un Coliseum en feu, la chaleur retombe un peu lorsque le Bayern marque à la 115e par l’italien Toni. L’ambiance devient glaciale quand ce dernier récidive en égalisant de la tête à la dernière seconde ce qui qualifie le Bayern Munich au bout d’une mémorable nuit européenne pour Getafe. Cette soirée fera dire au légendaire gardien du Bayern Oliver Kahn : « J’ai joué 140 matchs européens, je suis allé partout — Madrid, Milan, Londres, Barcelone — mais ce qui s’est passé ce soir est incroyable. En 40 ans, je n’ai jamais vu ça. » Tout n’a ensuite pas été pour le mieux à Getafe, le club étant relégué en deuxième division en 2016. Pour autant, il remonte dès l’année suivante avant de connaître le succès que l’on lui reconnaît aujourd’hui.
Un entraîneur au parcours original situé entre intensité et agressivité
Orchestré par José Bordalás (55 ans), Getafe est considéré en Espagne comme un « ersatz » (remplacement en français) de l’Atlético de Madrid avec son jeu rugueux et ses footballeurs zélés. Le technicien au look hipster a gravi un à un les échelons du football ibérique à force de travail et d’abnégation. Son parcours démarre en 1993 alors qu’il n’a que 29 ans sur le banc de la réserve d’Alicante (6e division). Cet ancien joueur modeste qui a surtout évolué dans des petits clubs de la région d’Alicante se voit rapidement confier les rênes de l’équipe première alors en 4e division, avant d’osciller entre la quatrième (Eldense, Mutxavista) et la troisième division (à nouveau Alicante, puis Novelda et Alcoyano). José Bordalás n’a jamais entraîné de gros clubs, Elche et Alavès étant ses principaux faits d’armes avant d’atterrir à Getafe. Son parcours est à l’image de l’équipe insolite, Bordalás ayant entrainé au Costa Rica.
Celui-ci considère « El ‘Cholo » Diego Simeone comme son idole et il s’en inspire. Ainsi, son leitmotiv n’est pas difficile à deviner, le football pratiqué se voulant intensif et agressif. Deux caractéristiques qui correspondent parfaitement à l’idéal footballistique de l’ancien milieu argentin de l’Inter qui est actuellement à la tête de l’Atlético Madrid. Une équipe rugueuse, le nombre de cartons jaunes reçus l’atteste, étant cette année sans aucune contestation possible le plus élevé d’Espagne (98, notamment 12 en 27 matchs pour l’arrière droit uruguayen Damián Suárez et 10 en 24 matchs pour l’avant-centre Jaime Mata).
Une équipe qui peut s’appuyer sur des joueurs souvent revanchards
José Bordalás est un adepte du 4-4-2 classique. Pour cela, il peut compter sur un effectif avec des joueurs souvent revanchards ayant été écartés dans leur club d’origine ce qui leur permet d’exprimer pleinement leur potentiel sous le maillot madrilène. Le solide gardien David Soria (27 ans) cantonné à un rôle d’éternelle doublure au FC Séville en est la preuve. En arrivant à Getafe, il s’est installé comme l’un des meilleurs gardiens de la division, ses bons résultats de cette année le confirment. En 27 matchs, il n’a encaissé que 25 buts réalisant presque un clean sheet tous les deux matchs (12 en Liga). Cette solidité défensive (3e défense de Liga) peut également s’expliquer par la présence de Djené (28 ans), lui qui est également arrivé sur la pointe de pieds de Belgique en 2018. Plusieurs fois dans l’équipe type de la saison (aux côtés de Gérard Piqué ou Sergio Ramos), il est aujourd’hui courtisé par de nombreux cadors de Premier League. À ses côtés, on retrouve soit l’expérimenté Xabi Etxeita (32 ans) international espagnol rompu aux compétitions européennes auparavant sous le maillot de l’Athletic Bilbao ou l’uruguayen Erik Cabaco (25 ans). Les latéraux Allan Nyom (2 buts, international camerounais passé notamment par Arles-Avignon et Watford) à gauche et l’uruguayen Damián Suárez à droite (4 passes décisives) s’avèrent être tout aussi précieux.
Le milieu est sans aucun doute le point fort et est symbole de la diversité de l’effectif où à l’inverse de plusieurs clubs espagnols (basques notamment : Athlétic Bilbao et Real Sociedad…), de nombreuses nationalités se côtoient (60 % de l’effectif est étranger). À commencer par Mauro Arambarri l’urugayen (24 ans), ancien bordelais qui s’est fait un nom dans la capitale ibérique. Excellent récupérateur, dur sur l’homme malgré sa petite taille (1,75 m), sa valeur est aujourd’hui estimée à 25 millions d’euros soit 20 fois plus que durant son séjour girondin. Une première sélection ne devrait pas tarder à récompenser son excellente saison. À ses côtés, l’international serbe Nemanja Maksimovic presque du même âge (25 ans) semble enfin avoir trouvé chaussure à son pied, lui dont la carrière footballistique l’a déjà bien fait voyager (Serbie, Italie, Slovénie et même Astana au Kazakhstan).
Enfin, on ne pourrait évoquer Getafe sans parler de la révélation Marc Cucurella qui appartenait au FC Barcelone et dont l’option d’achat vient d’être levée. Le gaucher polyvalent pouvant jouer à la fois en arrière ou sur les ailes (déjà 1 but et 5 passes décisives en 26 matchs de Liga) est un profil extrêmement rare. On annonce à nouveau la Premier League notamment Chelsea comme particulièrement intéressé. Nul doute qu’avec sa jeunesse (21 ans) Getafe en tirera un très bon prix s’il venait à être placé sur le marché des transferts. L’attaque est quant à elle très expérimentée avec le vétéran capitaine Jorge Molina (bientôt 38 ans), l’équipe évoluant avec 2 avant-centres. Il alterne le rôle avec deux autres vieux briscards : Jaime Mata, 31 ans, 8 buts et 4 passes décisives en 22 matchs et Angel Rodriguez (32 ans), très précieux dans le rôle du super-sub (24 matchs mais 1091 minutes de jeu pour 10 buts, soit un but tous les 109 minutes, l’un des meilleurs ratios des 5 grands championnats). Cette expérience est compensée par le brésilien Kenedy (24 ans), l’ailier gauche prêté par Chelsea s’avère très efficace dans le rôle de joker de luxe, sa technique et sa vivacité peuvent faire la différence en fin de match. Car oui, s’inspirant du modèle de l’Atlético, les matchs sont souvent tendus et fermés ce qui explique les « seulement » 37 buts en 27 matchs inscrits par Getafe en Liga cette saison. L’effectif paraît donc équilibré à l’image des valeurs du club, sans réelles stars mais avec des joueurs qui mouillent le maillot, généreux dans l’effort mais parfois un peu trop vu le nombre de cartons. Néanmoins, cette tactique semble pour le moment porter ses fruits.
Capable de renverser l’Ajax finaliste de la dernière Ligue des Champions, Getafe surprend et a confirmé son statut cette année en étant 5e comme l’année dernière. Phénomène de mode comme le Deportivo la Corogne ou le Celta Vigo auparavant ? Pas si sûr, le football intensif pratiqué par Simeone et dont s’inspire Bordalás semble fonctionner dans notre ère moderne, la récente qualification de l’Atlético aux dépens du champion en titre Liverpool confirmant ce phénomène. Après le Real et l’Atlético, Madrid semble en passe de compter sur un troisième club s’inscrivant comme un des grands d’Espagne.
Crédits photos : Football Ticket Net, FC Barcelona Noticias, The Guardian et El Pais