En natation, le dos féminin français n’a jamais été aussi dense. Emma Terebo, Pauline Mahieu, Analia Pigrée, Mary Ambre Moluh et, enfin, Bertille Cousson. En saison olympique, les places pour Paris sont chères, avec seulement deux billets sur chaque distance en dos. Un défi que la nageuse béthunoise s’estime prête à relever. Portrait.
Béthune, huit heures du matin. Un temps gris et une température plutôt fraîche qui ne donnent aucunement envie de s’aventurer dans l’eau froide d’une piscine. Mais au bord du bassin du Centre Aquatique de Béthune, la bonne humeur des entraîneurs et des athlètes contraste avec le froid extérieur. Parmi eux, une nageuse fête son anniversaire. C’est tout sourire que Bertille Cousson et son club ouvrent leurs portes en ce froid matin d’octobre. À l’occasion de son anniversaire, c’est la nageuse qui a pu décider du déroulé de l’entrainement. Au programme, une série de 21 fois 100 m, comme le nombre de bougies soufflées par la nageuse. S’ensuit la dégustation d’un (délicieux) gâteau cuisiné par l’une de ses coéquipières. Une ambiance agréable et décontractée règne dans le vestiaire. Loin, bien loin de la pression de juin 2024 et des qualifications olympiques.
Un rapport avec la natation à deux faces

Double médaillée des championnats d’Europe U23 cet été, Bertille Cousson est en plein rêve. Début septembre 2023, elle côtoie pour la première fois l’équipe de France A lors d’une visite des installations de Paris 2024. “C’était incroyable. Voir le village olympique, c’était une chance énorme. On a aussi eu la chance de découvrir les plans pour la future piscine“, se remémore-t-elle. Une visite clôturée par une réception à la Tour Eiffel durant laquelle l’organisation a diffusé les plus beaux moments de la natation française. Émotions garanties.
Aux côtés de certaines de ses idoles, Bertille a “du mal à retenir ses larmes“. D’autant plus qu’à côté d’elle se trouve Florent Manaudou. Le champion olympique 2012 du 50 m nage libre dont Bertille a pu observer les exploits devant sa télé. “Je crois que ce jour-là, je n’ai jamais été autant reconnaissante de mon sport. De tout ce qu’il m’a fait vivre“, confie la nageuse de Béthune.
Pourtant, quand Bertille commence à nager, elle est bien loin de se douter de tout ce que ce sport va lui apporter. Au contraire, elle n’aimait pas se mettre à l’eau, “Il faut savoir que quand j’ai débuté la natation, je détestais ça. Je n’aimais pas m’entraîner. Surtout que j’avais des kilos en trop et je n’aimais pas me mettre en maillot de bain. Bon après, je dis ça, j’avais 9/10 ans. Mon père lui était très investi dans la natation et je n’ai jamais eu le courage de lui dire que je voulais arrêter. Donc j’ai continué“, raconte-t-elle.
C’est finalement ce sport qu’elle haïssait tant qui lui a offert des moments de vie uniques. La jeune Bertille s’est-elle un seul jour imaginé rencontrer le prince de Monaco ou encore se rendre en stage en Martinique avec son club ? Une chose est sûre, depuis son arrivée à Béthune, l’athlète de 21 ans vit un rêve éveillé. D’autant plus que cette saison, elle peut espérer se qualifier pour les Jeux Olympiques à la maison.
Une nageuse en constante progression

Après une fin de saison 2022/2023 en apothéose et deux podiums aux championnats d’Europe Junior de Dublin (3e sur 50 et 100 m dos), Bertille figure parmi les prétendantes à une qualification olympique. À en croire son entraîneur, Grégory Lefebvre, la spécialiste du 200 m dos a toutes les cartes en mains pour y arriver. “En étant si proche de se qualifier aux championnats du monde avec l’équipe A cet été, elle a aujourd’hui toutes ses chances. La qualif des Jeux, c’est particulier. Elles sont trois à pouvoir aller chercher cette qualif. Donc ça veut dire que tout est ouvert. Bertille a tout à fait ses chances de pouvoir aller chercher cette qualification“, explique-t-il. Afin de décrocher son ticket, Bertille Cousson doit encore améliorer son record personnel (2:11.20 contre 2:10.39 requis pour se qualifier) et terminer dans les deux premières lors des qualifications en juin prochain.
“Bertille a tout à fait ses chances de pouvoir aller chercher cette qualification“
Grégory Lefebvre, entraîneur de Bertille Cousson
Justement, sur l’ensemble de la saison dernière, elle n’a pas cessé de s’améliorer. “Je nage 2 :14 au Luxembourg. J’étais contente parce que c’est un temps que je n’avais pas fait depuis longtemps. Puis à Béthune, je réalise 2 :13, je gagne une seconde. Enfin, au Giant Open, je fais 2 :12. » détaille la Béthunoise. Une progression continue qui lui laisse entrevoir une qualification aux championnats du monde lors des France à Rennes. Finalement, elle passe tout près, mais échoue. Pour 17 centièmes de secondes seulement, elle rate le coche. Pour autant, Bertille ne s’effondre pas et se qualifie dans le même temps aux championnats d’Europe junior à Dublin. Une compétition lors de laquelle elle monte deux fois sur le podium. Désormais, il faut continuer à avancer et à progresser. Pour cela, Grégory Lefebvre et sa nageuse savent sur quoi travailler.
L’importance de la dernière année de préparation

Si cette saison est olympique, il est important de poursuivre le plan de travail en place. “Une saison olympique ne se construit pas l’année de la saison (…) Il ne faut pas changer grand-chose et continuer à faire ce qu’on sait faire et qu’on a toujours fait. Et ce n’est pas à ce moment-là qu’il faut modifier des choses. Il faut anticiper sur 3 ou 4 ans“, explique Grégory Lefebvre. Justement, pour cette dernière année de préparation, le gros du travail se fait sur la technique et l’intensité. Un ajustement technique que Bertille et son coach orientent vers la partie non nagée. “Les parties non nagées, c’est mon point faible. Notamment par rapport à Pauline et Emma (ses deux concurrentes à la qualification olympique). Je travaille ça depuis les championnats de France et j’ai déjà progressé. Ça s’est senti lors de mes temps au 50 m et 100 m à Dublin“.
Un travail sous l’eau qui n’est pas sans rappeler les caractéristiques de nage de Michael Phelps et, plus récemment, de Léon Marchand. C’est d’ailleurs d’une déclaration de ce dernier que la nageuse a eu l’idée de travailler ses coulées. “J’ai pris exemple sur Léon Marchand. Dans l’une de ses interviews, il dit que pour chacune de ses coulées à l’entraînement, il faisait entre 10 et 12 ondules. Personnellement, je ne peux pas viser ça pour l’instant, mais je vise 6. Pour le moment, ça porte ses fruits. Après, peut-être que je monterai jusqu’à 8.” Une détermination qui pourrait permettre à Bertille Cousson de nager au niveau d’Emma Terebo et de Pauline Mahieu. Une concurrence qui ne lui fait pas froid aux yeux.
Son entourage, un moteur important

Si aujourd’hui ces deux nageuses sont devant Bertille, aucune d’entre elle n’a disputé joué une qualification olympique. Ce qui, selon l’intéressée, les met toutes “sur le même pied d’égalité“. Avec elle, la Béthunoise a même un surplus, une force supplémentaire. C’est son entourage, à commencer par sa famille. Pour ça, l’équation est assez simple : quand ils sont là, elle performe. “J’ai toujours besoin qu’ils soient là. Je nage pour eux“, explique-t-elle. À tel point que certains sont prêts à faire le déplacement pour une course seulement. “Mes sœurs, elles, posent des jours de congés. Par exemple à Rennes, elles ont fait Paris-Rennes en même pas 24 heures. Tout ça pour voir la journée du 200 m dos.” Un vrai support qui conduit Bertille à de meilleures performances.
Sans oublier ses amis qui lui apportent également un soutien mental. “Ils sont là, ils crient ton nom. Tu ne veux pas les décevoir“, admet la protégée de Grégory Lefebvre. Dans son groupe à Béthune, il y a cinq filles. Ces quatre nageuses, elle les considère comme ses “meilleures amies en dehors de l’eau“. Un véritable atout dans le quotidien d’un athlète de haut niveau. “C’est ce qui te donne la motivation pour venir tous les jours. Tu te dis on va rigoler, discuter. Et puis on arrive à se confronter, mais toujours avec bienveillance et respect.” Son coach joue aussi un rôle prépondérant dans sa réussite quotidienne.
Bertille trouve en son entraineur plus qu’un simple coach. Un “meilleur ami” comme elle dit. Pour comprendre cela, il faut revenir un peu en arrière. Arrivée à Béthune alors qu’elle était encore au lycée, Bertille Cousson a très vite été prise sous l’aile de Grégory. “J’étais dans un internat qui fermait les vendredis soir. Mais j’avais entraînement les samedis matin, donc je devais impérativement rester dans le département. Grégory m’a proposé de dormir chez lui avec sa femme et sa fille. Donc forcément, ça a créé des liens“, raconte-t-elle. Bien qu’aujourd’hui, Bertille ait son appartement, la nageuse entretient ce lien en allant “encore de temps en temps manger chez eux.” Une relation idéale qui permet de préparer sereinement la qualification pour Paris 2024.
Et après ?

Si Bertille parvient à se qualifier aux Jeux Olympiques, elle ne compte pas s’arrêter à ce stade. En cas de qualification, serait de franchir l’étape des séries. “C’est bien de s’être qualifié, mais ce n’est pas pour y cueillir des pâquerettes. Si j’y suis, je viserai une demi-finale“, ambitionne la nageuse.
“Si j’y suis, je viserai une demi-finale“
Bertille Cousson, à propos des Jeux Olympiques 2024
Âgée de 21 ans, Bertille est encore jeune. C’est pour cela qu’elle anticipe, dès aujourd’hui, l’après 2024, notamment la préparation de Jeux Olympiques 2028 de Los Angeles, durant lesquels elle espère pouvoir jouer les premiers rôles. Pour Bertille, l’objectif en 2028, “ce serait une médaille“. Toutefois, l’avenir est incertain et tout peut s’arrêter du jour au lendemain, à cause d’une blessure entre autres. Une situation sur laquelle la Béthunoise est lucide. “En 4 ans il peut se passer plein de choses. J’ai déjà un gros souci à l’épaule. Ça fait 2 ans que j’ai un kyste que j’essaye de soigner avec des infiltrations. Si j’opère, je perdrai en mobilité dans mon épaule. Donc à tout moment, ça peut craquer et je peux arrêter à cause d’une blessure“, admet-elle.
Mais avant cela, elle doit également se trouver un nouveau projet. En effet, avec les départs de certaines de ses coéquipières à Béthune, Bertille Cousson va changer d’air. Une situation sur laquelle elle n’est toujours pas au clair. Après tant d’années avec le même entraineur, il est difficile pour elle de choisir un autre coach en qui elle peut placer la même confiance. “C’est dur de trouver un autre club. Quand je liste mes possibilités pour l’année prochaine, je me dis que j’ai n’ai pas 100 % confiance en untel ou encore un autre. C’est assez délicat.” Bertille poursuit donc ses recherches, sans pour autant mettre de côté son rêve olympique de cette saison : disputer les Jeux à la maison.
Très beau reportage, tous derrière Bertille !!