Dans un collectif de quinze joueurs, il est délicat d’individualiser un succès lors d’une rencontre de RWC 2023. Pourtant, lors du choc opposant l’Angleterre à l’Argentine, un homme a pris ses responsabilités afin d’être un artisan essentiel au succès des siens. Dans tous les bons coups et auteur de plusieurs gestes de classe, George Ford a émerveillé la cité phocéenne.
Le fil du match
Deux nations plongées dans le doute, des contre-performances historiques et un fond de jeu pas à la hauteur de la qualité des joueurs. Les deux « gros » de la poule D ont néanmoins livré une féroce bataille dans un Vélodrome de Marseille en fusion. Les premières séquences offensives sont argentines et les Anglais répondent efficacement par le plaquage. Toutefois, après trois minutes de jeux, Tom Curry (de retour après une longue absence due à une blessure à la cuisse), percute Juan Cruz Mallia au visage après un jeu au pied. Le troisième ligne est exclu pour dix minutes, mais apprendra quelques instants plus tard qu’il ne reviendra pas sur la pelouse. Après un nouvel examen vidéo, le corps arbitral décide de lui attribuer un carton rouge. Terrible retour à la compétition pour le joueur de Sale.
Emiliano Boffelli en profite alors pour passer les premiers points de la rencontre depuis sa propre moitié de terrain avec un superbe coup de pied (0-3). Après dix minutes de jeu, le match connait un nouveau rebondissement. Santiago Carrerras vient percuter Ford après que celui-ci ait effectué un jeu au pied de pression. Avec l’aide de ses assistants, Mathieu Raynal sanctionne ainsi le jeune Argentin d’un carton jaune. L’ouvreur britannique se fait justice dans la foulée à l’aide de son pied droit (3-3). Au cœur d’une atmosphère étouffante, les ballons sont glissants et la défense prend un net avantage sur toute tentative offensive. Aucune des deux équipes ne parvient réellement à prendre le pas sur l’autre.

Les Argentins vont pourtant s’offrir un temps fort important dans les vingt-deux mètres anglais. Au courage et solidaire, le XV de la Rose parvient à s’en sortir grâce à l’activité de ses cadres dans les phases de ruck. Le 16e homme joue son rôle à merveille et pousse les Britanniques à renverser le cours de la rencontre. C’est alors que le maître à jouer décide de briller. En dix minutes, George Ford inscrit trois drops, dont deux à 45 et 50 mètres. En plus d’occuper la moitié de terrain adverse et de distribuer les ballons, l’ouvreur de Sale inscrit des points ô combien importants. “Il nous fallait concrétiser notre domination territoriale en inscrivant le plus de points possible”, explique l’homme du match. Au terme du premier acte, les hommes de Steve Borthwick mènent sur le score de 12 à 3.
La suite de la rencontre ne fait que confirmer les impressions des premières minutes. La défense anglaise est en place et destructrice. Les Pumas sont trop facilement mis à la faute et ne parviennent pas à se transmettre le ballon sans commettre d’en avant. 13 fautes de mains et autant de pénalités au moment du coup de sifflet final. Des chiffres bien loin des standards internationaux. Un cadeau que George Ford n’a pas manqué d’accepter. Le numéro 10 poursuit ainsi son sans faute face aux poteaux avec cinq nouvelles pénalités. 27-3 à la 75e minute, l’affrontement tourne à la démonstration de force.
Dominés dans les phases de conquêtes, notamment la mêlée, les Pumas sont asphyxiés et les défenseurs anglais s’en donnent à cœur joie. Un énorme plaquage de Manu Tuilagui sur le jeune Santiago Chocobares à la 51e, Lawes dans tous les rucks et Earl sur chacun de ses ballons. Le XV de la Rose est plus frais et le tableau d’affichage traduit cette impression de supériorité. “Seul, on n’arrive à rien. Nous avons un groupe soudé. Nous avons connu quelques accrocs au cours de notre préparation, mais depuis 10 jours, on ressent quelque chose de différent ici, dans la façon dont l’équipe s’est emparée de l’événement. C’est un plaisir d’être là”, affirme George Ford après la rencontre.
À la sirène, Rodrigo Bruni s’arrache pour inscrire l’essai de l’honneur côté argentin. Suite à la transformation de Boffelli, le score est de 27 à 10. Néanmoins, lors du coup de sifflet final, l’heure n’est pas à la réjouissance chez les sud-américains. “Nous n’avons quasiment pas joué. Le jeu était interrompu sans cesse et, quand on jouait, on manquait de maîtrise. L’adversaire a dicté le rythme, et l’a très bien fait. Ils nous ont coincés”, confie le sélectionneur argentin, Michael Cheika. L’objectif est de rebondir dès vendredi prochain contre les Samoa.
Le tournant du match

Humilié pour sa centième à Twickenham face aux Fidji, le capitaine Courtney Lawes voulait montrer un tout autre visage que celui affiché lors de la préparation. Hier soir, avant le festival de drops de Ford, il a fallu batailler et les avants britanniques ont régalé les nombreux supporters des travées du Vélodrome. Juste après la pause fraîcheur, les Anglais sont retranchés dans leurs cinq derniers mètres et ne laisseront rien à leurs adversaires du jour.
Comme un symbole, c’est Lawes qui vient gratter un ballon sous ses poteaux afin de renvoyer les Argentins dans leur camp. Suite à cette phase défensive, Ford a eu des ouvertures face aux perches et le succès s’est progressivement dessiné. “Dan Cole, Ellis Genge et Jamie George ont été énormes. Sans eux, ça n’aurait pas été le même match. Ils ont gratté pénalité sur pénalité, ils ont beaucoup franchi. Franchement, si on gagne, c’est grâce à eux”, ajoute un capitaine satisfait. Le pied droit de Ford, la puissance de la première ligne, le dynamisme d’Alex Mitchell et l’abnégation de 23 joueurs. Finalement, le succès anglais a bien plusieurs visages.
Les protagonistes

George Ford : Il a inscrit l’entièreté des points de son équipe. Trois drops, six pénalités et 19 coups de pieds durant la rencontre. Une gestion du match parfaite compte tenu de la tournure des évènements. Des chandelles à répétition afin de mettre sous pression les trois-quarts argentins. Un rôle de métronome, de leader et un statut de cadre confirmé. Après un match complètement manqué face aux Fidji, Ford a répondu de la meilleure des manières et a éclaboussé la rencontre de son talent.
Ben Earl : Également pointé du doigt après la dernière défaite à Twickenham, le jeune troisième ligne des Saracens a réalisé un match plein. Deux plaquages offensifs parmi les 13 qu’il a distribués au fil de la rencontre. En plus d’être présent en défense, il est parvenu à bonifier les ballons qu’il a touchés grâce à sa puissance et son explosivité.
Alex Mitchell : Quatrième dans la hiérarchie des demis de mêlée avant la blessure de Jack van Poortvliet, le numéro neuf de Northampton a mis Danny Care et Ben Youngs sur le banc afin d’entamer les rencontres. Ses appuis et sa lecture du jeu font de lui un joueur redoutable. Vif, propre et précis pour libérer les ballons, il apporte de la fraîcheur dans une ligne de trois-quarts plutôt vieillissante.
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