Lorsque certains athlètes doivent endurer un régime alimentaire draconien dans un but purement physique, Tadej Pogacar préfère en rire. Il n’est guère importuné par ce qui constitue l’une des étapes ou contraintes fondamentales d’une carrière. En clair, il se nourrit raisonnablement tout en ne rentrant pas dans la spirale « régime » qui peut s’avérer quelques fois anxiogène et ainsi contre-productive. Même si l’alimentation doit être finement contrôlée chez les sportifs, elle doit être avant tout une source d’apaisement. Après tout, il faut manger par plaisir. Et c’est un dogme pour le jeune slovène Tadej Pogacar. Comme l’ont remarqué ses nombreux fans, cette certaine liberté d’alimentation s’avère être mentalement bénéfique pour l’homme qu’il est et qu’il sera. « Parfois, cela peut être un problème. Mais pour moi, pas vraiment… » Il sait se contenter de peu comme il sait ne pas s’enflammer quand il a du trop. Oui du « trop », il y en a eu, et à profusion. Aux objectifs encore à véritablement bien planifier, « Pogo » vit paisiblement, dans le calme et le luxe d’un appétit dévorant sans jamais réellement faire preuve de gourmandise.
« Le régime dans le cyclisme est peut-être plus différent que dans d’autres sports. Nous avons parfois besoin de manger beaucoup plus que nous le pouvons. » Il n’est pas dans sa nature d’être affamé, il sait apprécier les bonnes choses en tant que goûteur et cycliste. Il n’avale pas des portions pantagruéliques qui pourraient nuire à sa jeune carrière, d’autant plus que les grands tours semblent être son principal objectif. Et pour cela, afin d’être le plus aérien possible sur des étapes comprenant un sur-enchaînement de cols, il faut être « léger ». Même si le mot pourrait porter à confusion, il suit un régime simple et moins strict que certains. « Je m’assure que la nourriture est de la plus haute qualité, variée et fraîchement préparée. » Ses succès de 2019 en sont de même. À l’image du Tour d’Espagne où il monte sur la troisième marche du podium à Madrid, son exploit était « de la plus haute qualité » et « fraîchement préparé ». Au fond, il semblait conscient de ce qu’il réalisait. Ses trois victoires d’étapes sur la Vuelta étaient d’une qualité extrêmement variée, tant il a su lever les bras sur des étapes offrant des tracés assez distincts les uns des autres. Une forme d’apaisement règne en lui. Il semble être serein, au sein d’une équipe qui lui inspire confiance.
« Je fais pression sur moi-même, pas d’une mauvaise façon, juste pour maintenir ma motivation. » Il en aura immanquablement besoin. Il fait partie de cette troupe qui s’avance sur le devant de la scène. Cette troupe constituant le dernier cru, la nouvelle génération. De la pression ? Elle se rendra davantage persistante dans les prochaines années. Son goût prononcé pour les nouvelles découvertes le mènera jusqu’en France puisqu’il participera à la prochaine édition du Tour de France. « Pour moi, l’objectif principal est d’apprendre le plus possible comment le Tour fonctionne pour les prochaines années. » Tel un étudiant visitant son futur centre d’études, Tadej Pogacar ne se met vraisemblablement aucune pression particulière. Il persiste même parfois à dire qu’il épaulera le vrai leader Fabio Aru. Il en était de même sur la dernière Vuelta, le résultat final ne miroite guère avec les consignes de départ. Dans un pays qu’affecte tant sa mère étant donné qu’elle y enseigne la langue, Tadej Pogacar ne laissera rien au hasard, goûtera au plaisir de la nouveauté et découvrira tout l’esthétisme d’un patrimoine dont sa prof de français à la maison a du indéniablement faire l’éloge. Et pour ce qui est de la cuisine, son attachement pour une alimentation variée, saine et raffinée ne sera pas dépaysé.
Plongé désormais dans une nouvelle décennie, Pogacar ne perd pas de temps. Il reste zen néanmoins. Au sortir de la 2e étape de la Volta a la Comunidad Valenciana, Dans la Musette, bien connu dans le monde du cyclisme pour son humour à prendre au énième degré, twitte : « la légende raconte que Pogacar a lâché un « OK boomer » en sautant Valverde sur la ligne. » Au fond, on pourrait y croire, cela aurait été une situation assez particulière et assez comique. On aurait même voulu et apprécié qu’il en soit ainsi. Mais elle serait avant tout une preuve que Pogacar se tient droit et flegmatique parmi ceux qui ont marqué l’ancienne décennie. À travers une boutade s’appuyant sur une phrase fétiche du moment afin de tourner en dérision l’ancienne génération, le compte humoriste verse sa fameuse sauce ketchup-mayo jaune qui plairait à l’intéressé. Mais conditions physiques oblige, il ne devra pas trop en abuser. Le conflit générationnel peut alors démarrer. Celui qui est habitué à une gastronomie artisanale est confronté à celui qui préfère s’engraisser dans des fast-foods mondialisés.
Le succès n’est pas un plat qui se mange froid pour « Pogo ». Sans le vouloir réellement, il gravit les échelons. Il se présente à la porte du restaurant World Tour comme un futur critique culinaire pointilleux. Assis à la table de Bernal et d’Evenepoel, il goûte ce qui lui est présenté. Presque intimidés, les autres clients les observent. Le trio déguste ce qui constituera leur carrière. Parmi eux, Pogacar préfère être plus exigeant, son avenir n’étant pas réellement tracé étant donné qu’il n’a toujours pas tranché entre les classiques et les grands tours. Il prend son temps mais ne veut pas le perdre pour autant. Il avance en tâtonnant, il avale bouchées après bouchées son repas. Il ne croque pas pour l’heure le succès à pleines dents, mais cela arrivera. La période sera ainsi bien révolue et pourra le jeune Tadej pourra se diriger vers un succès à long terme. Il est un gamin du pays, adulé par ses pairs, qui devient petit à petit un homme, un vrai.
Un homme qui rendra fier une nation qu’il a quittée pour des raisons sportives. À l’hiver dernier, il annonce qu’il « déménage à Monaco » là où de nombreux sportifs ont l’habitude de crécher. Non loin des Alpes et de la frontière italienne, la principauté offre à Pogacar un panel de routes d’entrainement. « On verra bien comment cela se passe », pas après pas, il avance vers sa destinée. Et pour cela, il faut se tourner vers l’Occident, tel un viking jadis voulant rapporter d’Angleterre et de Francie de la richesse pour nourrir son peuple scandinave. Bref, c’est un guerrier sans peur qui amènera gloire et prospérité à son pays natal. Il est un explorateur avisé qui goutte aux nouvelles cultures. Siégeant désormais sur le Rocher de Monaco puisque « la Slovénie n’est pas parfaite pour l’entrainement », Tadej Pogacar est à la porte d’une cuisine dont il ne tardera pas à dévorer tout son contenu. Le chef cuistot Prudhomme est prévenu !
Crédits photos : Be Celt, Chronique du Vélo, Marca et Eurosport