Le samedi 27 juin devait s’élancer la 107e édition du Tour de France. En raison de la crise sanitaire liée à la pandémie de Coronavirus qui a vu la moitié de l’humanité être confinée, la Grande Boucle a été reportée du 29 août au 20 septembre. Le mois de juillet sera différent donc mais pas de panique pour autant. Afin de commencer au mieux cette belle saison estivale, les Reporters Incrédules vous proposent un rétropédalage, revivez avec nous le dernier Tour de France en date. D’un Alaphilippe paré de jaune durant la quasi-totalité de l’édition à un Bernal qui a eu finalement raison de ce dernier en passant par les nombreux événements perturbateurs, ce Tour de France 2019 restera encré dans les mémoires. Récit.
Bruxelles : une capitale à l’aube d’un grand départ
Garnie par ses habituels touristes, la Grand’Place allait assister à un événement. Juste devant la façade du musée de la ville de Bruxelles s’était installée une scène. On pouvait y apercevoir, à quelques endroits un jaune sur lequel était écrit « Tour de France 2020 ». Puis, voilà que la place mythique bruxelloise se remplit. Des centaines de personnes surgissent des rues alentours pour observer idéalement le spectacle. Mais quel spectacle ? Nous sommes à deux jours du grand départ, il est ainsi tout à fait logique que les acteurs viennent saluer les spectateurs. Oui, en cette année 2019, le Tour de France s’élancera de Bruxelles mais cette édition est particulière. Elle célèbre à la fois les 100 ans du maillot jaune et les 50 ans de la première victoire d’Eddy Merckx. Quoi de mieux donc qu’un départ en Belgique pour célébrer main dans la main celui qui a honoré cette tunique à l’histoire passionnante ? Les festivités promettent d’être digne d’un 14 juillet français.
Le 4 juillet 2019 soit deux jours avant le jour J, la Grand’Place est bondée. Impossible de se déplacer et de bouger. Le centre de Bruxelles est à l’abri des klaxons. C’est un immense quartier piéton qui rend le spectacle encore plus vivant. Les 22 équipes ne vont pas tarder à arriver. Comme le veut la coutume, les différentes équipes se succéderont sur la fameuse scène. Les identités des coureurs qui les constituent seront énoncés, les principaux leaders auront même le luxe d’être interviewés. En partant de la Galerie du Roi, les coureurs sont acclamés dès leur arrivée sur l’estrade géante. La star belge Greg Van Avermaet fait rapidement oublier l’absence de Philippe Gilbert. À l’annonce de son nom, le public l’acclame, de la même manière que pour Wout Van Aert. Sagan, comme à l’accoutumée, fait son show. Mikel Landa met les choses au clair : lorsque le speaker lui demande si l’équipe est entièrement tournée autour de Nairo Quintana, il rétorque qu’ils sont « tous les deux leaders ». Pour Movistar, le Giro n’a rien apaisé. Nous allons voir par la suite que tout n’est pas si rose. Alaphilippe est acclamé par le public, le petit protégé de la Deceuninck Quick Step qui règne en maitre sur la Flèche Wallonne est rentré dans le cœur des Belges. Sur la scène, le français annonce ses objectifs. Ils sont simples : se faire plaisir et se concentrer sur les victoires d’étapes. Si seulement, à ce moment-là, il savait… Thibaut Pinot quant à lui arrive confiant, tout comme Bardet. Et si cette année était la bonne ?
L’ombre de l’an passé aurait pu tourmenter. Même avec un changement de sponsor, le Team INEOS se remémore la cérémonie de l’an dernier où son leader Froome ainsi que ses coéquipiers avaient été sifflés. Mais un an est passé et la situation s’est calmée. Cette année, la Colombie est l’honneur. Alors qu’il aurait pu soutenir Geraint Thomas, le public a décidé d’honorer le jeune Egan Bernal. Et voici que la cérémonie touche à sa fin. Pas si vite ! L’émotion atteint son paroxysme lorsque le baron Eddy Merckx monte sur scène, frissons garantis. Les quelques mots d’Eddy ont comblé le bonheur de tous, ce Tour va célébrer son histoire.
Deux jours plus tard, nous voici sur la ligne. Non loin de la Grand’Place se tient la ligne de départ. Les coureurs sont en tenue et montent signer la feuille d’émargement. La voiture de Christian Prudhomme, accompagné par Merckx, démarre. Les premières roues commence doucement à grincer, les coureurs défilent. Environ un kilomètre plus loin, Prudhomme sortit le haut de son corps et agita le drapeau. Ceci ne voulait dire qu’une seule et véritable chose : le Tour venait de partir. Et comme nous avons pu le voir assez fréquemment sur le sol : « Are you r’Eddy ? »
Acte I (06 – 21 juillet) : un peu plus près des espoirs
Alors que dans une incompréhension totale, Mike Teunissen endossait le premier maillot jaune du Tour, Bruxelles se préparait déjà au jour d’après. Ce jour d’après est le premier rendez-vous phare pour le classement général. Les coureurs courront en équipe dans un contre-la-montre qui arpentera les rues de Bruxelles. Finalement, la Jumbo Visma sort vainqueur et par conséquent, Mike Teunissen reste en jaune. Mais c’était sans compter l’étape du lendemain. Cabossée, la troisième étape était promise à un puncheur. Et qui est le mieux placé pour illustrer ce mot ? Trêve de tergiversations : il s’agit de Julian Alaphilippe. Dans l’euphorie générale, le français enlève cette étape qui honorait l’entrée en France. Cependant, Alaphilippe réalise tout autre chose, quelque chose d’encore plus grand, quelque chose qui n’avait pas été vu depuis 2014. Il endosse sur ses belles épaules le maillot jaune.
Mais tout aurait pu basculer lors de l’arrivée du haut des terribles rampes de la Planche des Belles Filles. Moins « grimpeur » que les autres favoris, Alaphilippe aurait pu flancher. À l’arrivée, le bilan est mitigé. Il perd son maillot jaune sans pour autant concéder du temps sur les grands favoris du Tour. Il termine troisième des favoris, dans la roue de Thibaut Pinot. Issu de l’échappée matinale, Giulio Ciccone endosse le maillot jaune. Mais deux jours plus tard, celui qui le lui a laissé le reprendra. En s’échappant dans la dernière côte répertoriée, Julian Alaphilippe, accompagné de son compatriote Thibaut Pinot, reprendra son bien. La victoire sera pour Thomas de Gendt et Thibaut Pinot prendra du temps sur les autres favoris. Le 14 juillet s’annonce festif.
Néanmoins, l’histoire était trop belle, il fallait immanquablement la noircir. Lors de la 10e étape, la dernière avant le premier jour de repos, Thibaut Pinot subit une terrible bordure orchestrée par… Julian Alaphilippe et les siens. Wout Van Aert franchit la ligne en vainqueur et de nombreux favoris, piégés par la bordure, prennent un retard conséquent sur les autres.
La journée de repos permet de faire le point, le gros du parcours approchant à grand pas. Le premier grand rendez-vous de cette deuxième partie se situe à Pau, c’est un contre-la-montre qui départagera les favoris. À la fin de l’étape, Thibaut Pinot retrouve le sourire mais rien n’est comparable avec ce que vit Julian Alaphilippe. Le français remporte sa deuxième victoire d’étape et consolide sa première place au classement général. Serait-ce finalement lui le successeur de Bernard Hinault ? Attendons les Pyrénées et les Alpes. Seulement après le champagne pourra être ouvert. Mais Alaphilippe est de ceux qui n’abdiquent jamais. Sur les routes étroites du Tourmalet, accompagnés par un public en furie, les coureurs pédalent au train. Le tempo est assuré dans un premier temps par les Movistar qui leur a permis d’éliminer un grand favori : Nairo Quintana. Par la suite, tout s’est accéléré. Le fidèle lieutenant de Pinot, David Gaudu, surgit et impose un tempo intense et durable. Il étire le groupe, quelques coureurs cèdent. Cependant, Alaphilippe est encore présent. Mais comment fait-il ? Voici que les coureurs atteignent les 2000 mètres, le dernier kilomètre s’avérera mémorable. Thibaut Pinot renoue avec la victoire, il s’impose devant Julian Alaphilippe, quelle journée !
Le lendemain n’est que bis repetita ? Presque. Accompagné de Landa, Pinot prend aussi de l’avance sur les favoris. Simon Yates s’impose et Julian Alaphilippe montre ses premières limites mais il a un matelas confortable. Alors que Thibaut Pinot revient à hauteur de Bernal et de Thomas, Julian Alaphilippe pourrait bien ne pas suivre la cadence dans la dernière semaine. Canicule annoncée, Galibier et Izoard dans la même journée pour enchainer avec l’Iseran le lendemain, les Alpes seront bel et bien au rendez-vous.
Acte II (22 – 29 juillet) : et maintenant l’ombre
Tout peut être rapidement bousculé. Après les victoires de Caleb Ewan et de Matteo Trentin, le Tour arrive devant le massif alpin, la 18e étape promet d’être spectaculaire. Avec les nombreux passages au-dessus des 2000 mètres d’altitude, les purs grimpeurs pourront se livrer une grande bataille. Mais cette grande bataille n’a pas réellement eu lieu… Quintana s’impose et revient au général tandis que Bernal termine seul devant les favoris. Pinot n’est pas dans un grand jour, de même pour Alaphilippe. Pour le spectacle, faut-il attendre demain ? Tout dépend de sa forme. Car la 19e étape marquera un tournant. La tristesse d’abord : Pinot, blessé à la cuisse, est contraint à l’abandon tandis qu’Alaphilippe perd son maillot jaune. Stupeur ensuite : l’étape est écourtée alors que Bernal s’envolait à la fois pour l’étape et pour le maillot jaune. En raison de fortes intempéries dans la descente du Col de l’Iseran, ce dernier qui a scellé en quelque sorte de sort de ce Tour, Christian Prudhomme a pris la décision d’arrêter l’étape. L’incompréhension règne, les supporters ont tout perdu. Bernal se pare de jaune, Pinot pleure dans son hôtel et la pluie continue de tomber. Mais cela peut-il s’arrêter ainsi ? Malheureusement, oui. La 20e étape, écourtée elle aussi, n’est qu’une formalité. La montée vers Val Thorens s’avère peu impressionnante, les favoris montent au train et Nibali s’impose au sommet. Juste récompense pour le Requin de Messine. Bernal franchit la ligne en vainqueur du Tour, rendez-vous sur les Champs.
Le lendemain, soit le dernier jour de la Grande Boucle, les Colombiens sont de plus en plus nombreux sur Paris. Alors que Caleb Ewan clôture cette édition en s’imposant pour la troisième fois, Bernal est le premier colombien à remporter le Tour de France. Le début d’une ère pour un pays en plein essor. Alaphilippe, finalement cinquième au général, reçoit l’honneur du public. Vêtu de pois, Romain Bardet est salué pour son courage et son abnégation. Petit à petit, les personnes partent, une douce mélancolie règne. Ça y est, le Tour est fini. Sera-t-il dans la légende ? Peut-être. Une chose est certaine, la France n’a jamais été aussi proche de l’exploit. Mais pour le moment, l’heure était aux festivités. D’un geste de la main, Christian Prudhomme ferme le livre. Ceci ne voulait dire qu’une seule chose : à l’année prochaine !
Crédits photos : 24 por 24, Le Soir, Le Parisien et Sud Ouest