Accueil » Transat Jacques Vabre : portrait d’une course unique

Réputée dans le monde, tant pour sa riche histoire que pour les noms qui la composent, la Transat Jacques Vabre s’est élancée dimanche 7 novembre du Havre. Et pour cette quinzième édition, l’innovation est le mot d’ordre. Entre nouveaux parcours, nouvelles aspirations, mais aussi défis techniques et promesses sportives, voici tout ce qu’il faut savoir sur la version 2021 de la plus célèbre des transatlantiques.

Aux origines de la « Route du café »

Pour tout amateur de voile, la Transat Jacques Vabre est une course à la saveur particulière. Aux côtés de la Route du Rhum et du très renommé Vendée Globe, elle est l’un des incontournables de la course au large et s’est construite en 14 éditions une légende et un charme bien à elle. De ces trois références, la Jacques Vabre est la seule courue en binôme. Son départ est donné tous les deux ans depuis le port du Havre et elle voit s’engager plusieurs types de voiliers bien distincts qui font route pendant environ quinze jours vers l’Amérique. Pour les skippers les plus chevronnés, elle est souvent un moyen idéal de préparer des traversées en solitaire en affrontant notamment quelques-unes des zones les plus agitées de l’Atlantique. Mais elle ouvre aussi à de nouveaux défis. D’ordre technique bien sûr, mais aussi humain, tant la question du lien qui unit les deux membres de l’équipage est cruciale. À ce titre, Alain Gautier, manager de MACSF, rappelait dans les colonnes de l’Équipe tout l’enjeu qu’induit le caractère non-solitaire de l’épreuve : « À bord, on se croise, on manœuvre ensemble (…), la confiance est essentielle sinon ça peut devenir invivable ».
À l’origine, la Jacques Vabre devait pourtant être une transat en solitaire. La première édition, qui naît en 1993 sous l’impulsion de Xavier-Laurent Desquet, met aux prises 13 skippers qui s’élancent en bicoques ou en monocoques sur les traces des navigateurs du XVIIIe siècle qui traversaient l’océan pour acheminer le café d’Amérique Latine vers l’Europe. Le Havre, port caféier historique, est logiquement désigné comme ville de départ et la course prend le nom de « Route du café ». On compte parmi les navigateurs engagés plusieurs grands noms de la discipline. C’est le havrais Paul Vatine qui est le premier à inscrire son nom au palmarès de l’épreuve en atteignant Carthagène, en Colombie, en tout juste seize jours. Deux ans plus tard, l’initiative est rééditée, mais les skippers concourent cette fois en binômes. La course devient ainsi la plus longue des transatlantiques en double, sans escale et sans assistance. La quatrième édition est tragique pour Paul Vatine, double vainqueur, qui disparaît en mer lors d’une tempête au large du Portugal. En 2001, le parcours est modifié et l’arrivée est fixée en terre brésilienne, à Salvador de Bahia. Malgré des difficultés d’organisation liées aux imprévus météorologiques, la course gagne en notoriété grâce à des marins emblématiques tels que Franck Cammas, Jean-Yves Escoffier et Jean-Pierre Dick qui dominent les cinq éditions des années 2000. En 2009, les skippers rallient Puerto Limon, au Costa Rica, avant de se tourner en 2013 vers Itaji, au Brésil. Lors de la Transat 2017, les records des quatre catégories sont battus et Thomas Coville et Jean-Luc Nélias, en Ultime, terminent la course en 7 jours, 22 heures et 7 minutes. Une performance qui fait date.

Les clés de l’édition 2021

Dans l’histoire moderne de la Transat Jacques Vabre, cette édition 2021 marque un certain renouveau. Pour la première fois, les skippers exploreront les Antilles et accosteront à Fort-de-France, en Martinique. Comme en 2017, quatre classes de navires sont engagées, mais les organisateurs ont cette fois opté pour trois parcours distincts. L’objectif pour Francis Le Goff, directeur de course, est « de recevoir tout le monde dans la Baie de Fort de France et d’avoir l’ensemble des podiums en moins d’une semaine » comme évoque à France Info. Les Class 40 d’abord, ont l’itinéraire le plus court. Les 44 équipages de cette catégorie vireront vers l’Ouest dès le passage de l’archipel du Cap-Vert. Les inscrits en IMOCA et en Ocean Fifty, en revanche, devront poursuivre leur route vers le sud avant de prendre la route de la Martinique, non loin des côtes du nord du Brésil. Pour les Ultimes enfin, il s’agira de contourner l’archipel de Trindade et Martim Vaz, au large de Rio de Janeiro. Par leur envergure et par la vitesse qu’ils peuvent atteindre (jusqu’à 45 nœuds soit 80 km/h), ces trimarans de plus de 30 mètres de longueur sont les poids lourds de l’épreuve. Les monocoques IMOCA, bateaux stars du Vendée Globe, se distinguent quant à eux par les foils dont la plupart sont équipés. Ces étranges « moustaches » positionnées sur les flancs des voiliers leur permettent de s’élever jusqu’à trois mètres au-dessus de l’eau et donc de gagner en vitesse. L’autre grande nouveauté est celle du nombre record d’équipages en lice. Dans les quatre catégories, 76 bateaux sont inscrits et pas moins de 158 skippers étaient alignés sur la ligne de départ le dimanche 7 novembre au Havre.
Cette quinzième édition est également le reflet de nouvelles ambitions extra-sportives pour le monde de la voile. Après un Vendée Globe organisé dans un contexte sanitaire éprouvant, la Transat 2021 est le premier rendez-vous post-covid pour les amateurs de la discipline. Pour l’occasion, de nombreux moyens ont été déployés par les différents acteurs de la course pour nourrir la ferveur autour du départ. La grande préoccupation qui a entouré ces événements d’introduction est d’ordre environnemental. Durant la semaine qui a précédé le début de l’épreuve, l’accent a été mis au village sur le tri des déchets et sur les mobilités douces. Plus audacieux même, les ébauches d’un projet de « course retour » qui permettrait d’ici à 2023 d’éviter un rapatriement des voiliers en cargo ont été évoquées. Enfin, Caroline Caron, directrice générale de la course, a tenu à rappeler à Ouest-France l’enjeu que constitue la féminisation de la discipline en évoquant notamment Julia et Jeanne Courtois, sœurs jumelles engagées ensemble sur cette transat. Au-delà de l’intérêt sportif qu’elle représente, cette édition revêt donc pour l’univers de la course au large de véritables enjeux d’avenir.

Deux premières semaines encore indécises

Au départ de Normandie, plusieurs équipages faisaient office de favoris dans les différentes classes. En IMOCA, c’est le local Charlie Dalin, originaire du Havre, qui a la faveur des observateurs. Associé à Paul Meilhat, vainqueur de la Route du Rhum 2018, le Normand navigue toujours sur Apivia, bateau avec lequel il est arrivé en tête du dernier Vendée Globe. Cet été, les deux hommes ont par ailleurs remporté la Rolex Fastnet en bouclant une traversée de la Manche en un peu plus de deux jours. Dans la catégorie des Ultimes, l’exercice des pronostics est plus relevé. Compte-tenu de l’extrême modernité des voiliers et de la renommée des skippers, l’issue de l’épreuve devrait principalement dépendre de la fiabilité des bateaux. À en croire certains observateurs assidus, Franck Cammas, Charles Caudrelier et leur Gitana 17 semblent particulièrement bien placés.
Pour l’heure, la lutte en mer est relativement serrée et les conditions météorologiques n’arrangent rien, notamment pour les Class 40 qui ont essuyé de nombreuses perturbations durant les premiers jours de l’épreuve. Ces derniers jours, les premiers équipages sont arrivés à la hauteur de leurs marques de parcours respectives et font désormais route vers la Martinique. Jeudi 18 novembre, trois des cinq Ultimes avaient dépassé l’archipel de Trinidad, avec le duo Cammas-Caudrelier à leur tête. Concernant la catégorie Ocean Fifty, c’est le Primonial de Sébastien Rogues et Matthieu Souben qui mène les débats, alors que la flotte vogue au large du Brésil. En IMOCA, Thomas Ruyant et Morgan Lagravière, engagés dans le Pot-au-Noir, devancent le duo Beyou-Pratt en lice pour Charal ainsi que l’Apivia de la paire Dalin-Meilhat. Du côté des Class 40 enfin, et alors que la flotte se rapproche du Cap-Vert, les débats sont très indécis. Ce jeudi matin, Jonas Gerckens et Benoît Hantzperg pointaient à la première place. Ils devront dépasser l’archipel avant de se tourner en direction de la Martinique. D’après la direction de course, l’arrivée des premiers marins sur les quais de Fort-de-France est prévue au début de la semaine prochaine.

Crédits photos : Barcelona World Race, IMOCA, Transat Jacques Vabre et Paris Match

Mathis Beautrais – 20 novembre

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