Accueil » Escrime : pour les Patrice, la fratrie comme moteur

Pour un sportif de haut niveau, le soutien de la famille est plus que nécessaire. Cet aspect, les frères Patrice, Sébastien et Jean-Philippe, l’ont bien compris. Tous deux dans l’escrime, ils ont lié leurs carrières et font de leurs succès comme de leurs échecs une source de motivation. Entretien croisé avec une fratrie pas comme les autres.

Sébastien (23 ans) et Jean-Philippe Patrice (26 ans) sont escrimeurs et pratiquent le sabre. Licenciés au Cercle d’Escrime Orléanais, ils sont originaires de Marseille où tout a commencé pour eux. S’il y a trois ans d’écart entre eux, les deux frères ont eu la même trajectoire et sont aujourd’hui au haut niveau. Respectivement 16e et 51e mondiaux, Sébastien et Jean-Philippe se côtoient très souvent sur les compétitions. Récemment, le cadet a fait parler de lui lors des championnats d’Europe en décrochant sa première médaille continentale à Plovdiv (BUL). Une preuve de son ascension en équipe de France qui pourrait le mener à Paris 2024. Qui plus est avec son frère, ce qui est un objectif de carrière, mais aussi personnel.

Sébastien, tu es sorti de Bulgarie avec cette médaille de bronze. Quel est ton sentiment ?

Sébastien Patrice  : Effectivement, c’est une fierté pour moi d’être sur le podium, car énormément de travail a été fait derrière. En plus, ça fait quelques mois que je cours derrière la médaille, car j’ai déjà fait deux quarts de finale cette année, en coupe du monde et en Grand Prix. À chaque fois, ça ne passe pas loin. Je franchis les étapes petit à petit. C’est vrai que d’arriver au moment où je décroche ma première médaille, qui plus est sur un championnat, c’est comme une consécration pour moi, sans être une finalité. C’est un travail qui paye et ça met du baume au cœur. Un tremplin pour la suite.

Jean-Philippe, ç’a été un peu moins facile pour toi. Vit-on la joie de son frère ou la déception individuelle prime-t-elle ?

Jean-Philippe Patrice : On va dire qu’avec Seb’, on a toujours avancé à deux. Mes victoires sont les siennes et les siennes sont les miennes aussi. Bien sûr que j’avais à cœur de bien faire sur cet événement qui était mon premier grand championnat, j’avais des attentes hautes. Je passe un petit peu à côté de ma compétition, ça peut arriver. C’est même la première fois que je passe autant à côté, que ce soit en jeune ou en senior. Mais dès lors que le tableau a commencé, j’étais de suite derrière mon frère. J’avais vraiment à cœur qu’il aille chercher quelque chose, car il le méritait sur sa saison.

En escrime, il y a cette sensation que tout le monde peut battre tout le monde, surtout dans le tableau…

Sébastien  : Ça, c’est un petit peu notre philosophie, car tout le monde a deux bras, deux jambes. On va se battre avec des mecs qui commencent à 0-0, donc il n’y a pas d’avantage au début. Après, quand on arrive dans le très haut niveau, il y a des tireurs qui ont compris quelque chose à notre sport et ils sont évidemment plus forts et plus constants. Ils ont un petit truc en plus au niveau physique, tactique, mental. Finalement, on sait que ça va être un gros match. On ne part pas défaitistes, mais on sait que chaque match est compliqué, qui plus est sur des «  top guns  ».

Sébastien et Jean-Philippe Patrice escrime
Amenés à se côtoyer sur des compétitions, Sébastien et Jean-Philippe vibrent ensemble – Photo : Bizzi Team

On parle plutôt d’exploit si l’on parle de ces tireurs-là. Mais tout est possible…

Jean-Philippe : Tout est possible dans notre sport. Si on fait un petit parallèle avec le tennis, on prend un Rafael Nadal ou un Novak Djokovic, beaucoup de joueurs se disent que c’est perdu d’avance. Mais quand Nadal et Federer régnaient sur le tennis, Djokovic a de suite dit qu’il était capable de battre ces gars-là. Aujourd’hui, il est tout en haut, c’est le plus grand de l’histoire. Si l’on y croit et que l’on veut gagner, qu’importe que le gars soit premier ou centième mondial, c’est là où on va commencer à faire de bons résultats.

Jean-Philippe disait que tes victoires sont aussi les siennes. Est-ce pareil pour les défaites et les moments de doute ?

Sébastien : Bien sûr, car en réalité, on s’est toujours tiré vers le haut depuis qu’on a commencé ce sport. Moi je l’ai suivi car c’est lui qui a commencé l’escrime. Notre éducation où on a des valeurs de famille qui sont hyper importantes font qu’en réalité, chaque moment important, que ce soit une victoire ou une défaite, nous façonne et nous forge. Quand lui va avoir une défaite, vu que c’est ma défaite aussi, ça va me faire réagir et je vais apprendre comme si j’avais eu un échec. On essaye tous les jours, à l’entraînement ou en compétition, de se tirer vers le haut et de se rendre meilleurs que ce que l’on est déjà.

Jean-Philippe : Quand nous étions gamins, nous étions un peu plus chiens et chats de par la différence d’âge, qui n’est plus importante aujourd’hui. Quand on est un peu plus jeunes, les trois ans font une sacrée différence. En 2021, nous sommes partis à Orléans à l’Académie Christian Bauer. Nous sommes entrés dans une structure où l’entraînement était très difficile, avec beaucoup d’heures. On n’avait jamais connu ça auparavant. C’est quelque chose qui nous a vraiment réuni, car la charge mentale était très forte et à ce moment-là, on avait deux options. Soit chacun prenait son chemin, soit on s’entraide et à deux, on sera plus forts et on ira plus loin. C’est ce qu’on a fait et on s’est dit que tous nos choix de carrière seraient orientés ensemble.
Cette chose-là nous rend plus forts, car même dans les moments de doute, on est là pour s’épauler et on se propose même des solutions entre nous. Notre rêve, c’est d’aller aux Jeux Olympiques de Paris ensemble et de les gagner, ce serait le graal. Sinon une médaille. C’est un événement de carrière qui est au plus haut. On a à cœur de faire ça, d’avoir des joies inoubliables. Gagner tout seul, c’est quelque chose, mais gagner avec son frère ou quelqu’un de sa famille, c’est indescriptible et ça nous lie à jamais.

Dans une interview accordée en 2018, vous disiez que votre objectif était d’aller ensemble à Paris 2024. Finalement, ce n’est pas si loin, vous êtes assez proches…

Sébastien : On est très proches de l’objectif, sans pour autant pouvoir le toucher du bout des doigts. Il y a encore l’année prochaine une saison de qualification olympique que l’on abordera. C’est vraiment là qu’on va pouvoir marquer des points et rentrer dans l’équipe. Tout le travail fait jusque-là est évidemment très important, car il nous permet de nous placer au niveau international. C’est notre objectif, on travaille pour. Oui, on commence à récolter les fruits de nos travaux respectifs, mais on ne se pose pas la question de savoir si on va y être ou non. Chaque jour, on travaille plus que la veille et on essaye d’avoir le meilleur résultat possible dans chaque compétition.

Sébastien et Jean-Philippe Patrice
Liés par leur sport, les frères Patrice vivent de belles émotions – Photo : Jules Dhiver

« On a des valeurs de famille qui sont hyper importantes »

Sébastien Patrice, sabreur

La concurrence est assez rude dans ce groupe avec un niveau élevé…

Jean-Philippe : J’ai envie de vous dire que c’est une bonne chose. Si vous allez sur les grands championnats ou les Jeux car vous êtes sélectionné, vous savez que vous allez là-bas avec peu de chances de repartir avec une médaille. Si vous êtes un athlète de haut niveau et que vous aimez la compétition, le but premier est de ramener la breloque. Plus la concurrence est rude et plus il faut regarder vers le haut, aller chercher des choses exceptionnelles.

Revenons aux origines. Comment vous êtes-vous retrouvés tous les deux à faire du sabre ?

Jean-Philippe : C’est assez marrant comme histoire, car nos parents n’étaient pas du tout athlètes de haut niveau. Cette sphère était extrêmement lointaine. Petits, on adorait se battre avec des épées et on regardait beaucoup de films de pirates ou encore Star Wars. Un jour, notre tante nous dit «  pourquoi vous n’essayeriez pas l’escrime  ?  ». Puis Sébastien qui était encore au foot a dit «  non, je n’ai pas envie, je préfère rester au foot  ». Il avait même dit que c’est un sport de filles. Par hasard, une section s’ouvre dans notre maison de quartier. Nous étions très loin d’une salle d’armes. Les pistes faisaient dix mètres, un mur au bout, c’était horrible.
J’ai de suite accroché, j’avais dix ans à l’époque, ce qui était assez tard. Je suis parti au club de Gémenos et la transition s’est faite au Pôle France Relève de Tarbes, puis à l’INSEP. Sébastien a suivi le même parcours, puisque c’est le maître d’armes que j’avais à Gémenos qui l’a récupéré lors d’un stage à la Toussaint. Il a accroché pareil, je suis venu sur ses premières compétitions. On a suivi le même parcours et aujourd’hui, on a le rêve des cinq anneaux en face des yeux.

Pourquoi le sabre ?

Sébastien : Tout simplement car il n’y avait que le sabre dans notre maison de quartier de la Valentine, dans le 11e arrondissement de Marseille. Pour être honnête, je n’avais aucune idée de ce qu’était l’escrime. Pour rebondir sur ce qu’a dit Jean-Philippe, j’allais avec notre père sur les compétitions et j’ai rencontré cet entraîneur qui est maintenant un de nos amis proches. On s’est pris de sympathie l’un pour l’autre et il m’a proposé un stage d’essai pendant une semaine. J’ai fait 3-4 entraînements, on m’a expliqué le gros des règles, j’avais 12 ans. À la suite de ce stage, il y a eu une compétition départementale que j’ai de suite gagnée. Je n’avais aucune idée des différentes armes. Avec du recul, le hasard est bien fait, car cette arme correspond à mon caractère.

Comment peut-on qualifier cette arme ?

Sébastien : Je ne vais pas dire une arme moins réfléchie que les autres, car ce ne serait pas vrai. Disons qu’on doit prendre des décisions en un laps de temps beaucoup plus court qu’à l’épée ou au fleuret. Au sabre, on établit une stratégie, on choisit une action et on doit s’adapter très rapidement. C’est un sport de vitesse où on peut se défouler, ça me correspond à 100 %.

Jean-Philippe : Le sabre est une arme explosive, inventive, au même titre que les autres, mais ça va plus vite.

Au vu de la vitesse du sabre, avez-vous parfois le sentiment de perdre le fil ?

Jean-Philippe : Totalement. On va dire qu’on peut très vite se retrouver loin de l’adversaire. À la différence des autres armes, si vous ne rentrez pas bien dans votre match, dix minutes après, vous êtes à la douche. Honnêtement, c’est plaisant aussi, car rien n’est fini d’un autre point de vue. Cette année, ça m’est arrivé d’être malmené et puis de remonter. Jusqu’à 14-1, on peut gagner le match, tant que l’autre n’a pas mis la quinzième.

Enfance frères Patrice
À gauche, Sébastien et à droite, Jean-Philippe, à leurs débuts – Photos : DR

Dix minutes après, cela vous est déjà arrivé d’être à la douche  ?

Sébastien : Oh oui, plus d’une fois ! On s’entraîne tous les jours, on fait des matchs en quinze touches, ça nous arrive tout le temps. C’est le jeu, même les grands champions ont connu ça. C’est parce qu’ils ont connu ça qu’ils sont des champions, donc ce n’est pas du tout un problème pour nous. On accepte trop mal la défaite pour ce qu’elle nous apprend. Ça nous est arrivé et ça nous arrivera encore, mais c’est ce qui façonne la victoire du lendemain et on n’a pas de problèmes avec ça.

Se sent-on parfois impuissant dans un match ?

Jean-Philippe : Il y a deux manières de se sentir impuissant, et Sébastien me suivra, je pense. Soit on est impuissant car on n’est pas dans une bonne journée, ce qui arrive. Sinon, il y a quand même un facteur dominant dans notre arme, qui est l’arbitre. Aujourd’hui, il se considère au même niveau, voire au-dessus des athlètes, ce qui est quand même dommage, car les protagonistes principaux sont les athlètes. On en vient finalement à être impuissant des décisions de l’arbitre, car s’il décide une chose et qu’on pense avoir mis la touche, c’est lui qui a le dernier mot. Des fois, on est tributaire de ça. La seule possibilité que l’on a, c’est de se remettre en garde et d’essayer de mettre la suivante.

Est-ce une arme par rapport aux autres qui est plus arbitrale ?

Sébastien : Ce n’est pas simple à gérer. Cette année, au Grand Prix d’Orléans, j’ai fait face en 1/16es de finale à un Coréen qui est l’un des plus titrés au sabre. Je perds 15-14 sur lui, alors que la dernière touche est 100 000% pour moi. De par une erreur d’arbitrage, volontaire ou non, le résultat est le même : je ne peux pas continuer la compétition. Je rejoins Jean-Philippe, c’est une forme d’impuissance, car on ne peut rien faire. Il n’y a pas de recours possibles. Finalement, cette action que j’ai faite est écrite dans les livres d’escrime. L’arbitre est chargé de donner la décision et de rendre au tireur ce qu’il vient de produire. S’il ne le fait pas, on n’a que nos yeux pour pleurer.

À l’INSEP, Pavel Clauzard

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Les Reporters Incrédules

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading