Sélectionnée avec l’équipe de France pour les championnats d’Europe à Malmö (Suède), qui débutent ce dimanche, la championne de France 2023 Audrey Zarif entend bien poursuivre sa progression fulgurante de la saison précédente. Le tout après avoir multiplié les sacrifices pour parvenir à un tel stade. Entretien.
Dans la vie, certains ont déjà leur avenir tracé dès le plus jeune âge. D’autres, au contraire, bifurquent d’une voie à l’autre. Audrey Zarif (25 ans), elle, connaît une vie qui allie ces deux destinées. Initiée au tennis de table dans les cités de Saint-Denis, la pongiste a ensuite bourlingué, aussi bien d’un point de vue personnel que professionnel. À son entrée au collège, elle décide de poursuivre son cursus scolaire à distance pour se consacrer encore plus au “ping”. Quelques années plus tard, la voilà à l’INSEP, où elle n’y passera qu’une seule année. Puis, elle connaîtra la Belgique, Metz, Saint-Quentin et désormais Joué-lès-Tours.
Un parcours tumultueux, donc, qui aurait pu s’arrêter soudainement au début de l’année 2022. Mais entre cette période, qui pourrait lui paraître si lointaine, et aujourd’hui, bien des choses se sont passées. Audrey Zarif a notamment remporté les championnats de France, participé aux championnats du monde et va disputer les championnats d’Europe par équipes en Suède.
Si tu devais te décrire en 3 mots…
Audrey Zarif : Pleine de vie, généreuse et impulsive.
Dès ton entrée au collège, tu as débuté les cours en correspondance pour te focaliser sur le “ping”. Qu’est-ce qui t’a poussé à faire ce choix ?
A.Z : Au début, j’ai alterné entre les cours en présence au collège et des cours en espagnol et en anglais avec le CNED (NDLR : Centre national d’enseignement à distance). À partir de la 5e jusqu’à mon bac, je suis passé au CNED avec des professeurs à la maison. Mais la scolarité m’a un peu traumatisé. Ce n’est vraiment pas facile de ne pas avoir de copains et de copines, d’être toute seule. Pourtant, j’avais un vrai projet avec Aurélie Blanc, ma première coach, et on avait pris cette décision de passer totalement au CNED. Ce sport, qui demande vraiment beaucoup d’entraînements, n’allait pas du tout avec le système scolaire. À cet âge, j’avais déjà des relanceurs (coéquipiers d’entraînements) qui venaient pour moi et le club payait. Il y avait un gros investissement sur moi.
Ensuite, tu connais plusieurs destinations : l’INSEP, la Belgique, Metz et Saint-Quentin. Ce passage en Belgique, notamment, c’est une aventure pour une jeune fille âgée de 16 ans…
A.Z : Effectivement, je suis partie après avoir fait une année à l’INSEP. C’était assez compliqué car à l’INSEP, j’ai fait mon retour dans le cursus scolaire normal. Ensuite, je suis retourné en Belgique parce que j’avais un coach, Denis Michelotto, qui m’entraînait à Saint-Denis. Ce départ n’a pas été facile, c’est sûr. C’est la première fois que j’avais un appartement, j’étais en collocation avec deux garçons dont Mehdi Bouloussa, aussi passé à Saint-Denis. Certes, ça n’a pas été facile, mais ç’a été mes meilleures années. À ce moment-là, j’ai fait de très belles rencontres. J’ai aussi remporté le Top 10 Européen Juniors. Mon niveau de jeu progressait beaucoup. Je me cherchais dans ma vie personnelle et professionnelle. Tout se mélangeait, mais c’était quand même… (elle réfléchit) J’ai kiffé être là-bas !

Tu as un style de jeu très agressif, plutôt proche de la table et bien aidé par un excellent revers. Est-ce, selon toi, les principales caractéristiques de ton jeu ?
A.Z : J’ai un jeu de vitesse, je prends la balle très tôt. Mes qualités premières sont le service et le revers, et on va dire que j’ai un petit point faible en coup droit. J’ai une plaque avec un soft – revêtement avec des picots – en coup droit, pour claquer la balle plutôt que de mettre de l’effet. Sinon, oui, j’ai un jeu agressif et mentalement, je suis une “fighteuse” (combattante).
Ce revêtement particulier en coup droit doit te gêner face à des joueuses qui ont un jeu basé sur les effets coupés…
A.Z : (elle rigole) Ah oui, oui ! J’y travaille tous les jours… Depuis dix ans, je travaille mon coup droit ! Mais au haut niveau, ça reste des détails. Ce qui joue beaucoup, c’est la mentalité et la confiance en soi. Mais évidemment, sur des matchs, ça peut me faire mal si une fille trouve très vite le moyen de me déstabiliser en coup droit.
La saison passée, tu as remporté les championnats de France contre Charlotte Lutz en finale. As-tu été surprise par ton niveau de jeu ?
A.Z : Je n’ai pas été vraiment surprise de mon niveau puisque depuis janvier, j’étais sur une progression folle. Je me suis plutôt surprise sur mon état d’esprit : très calme, lucide dans les moments importants, peu impulsive et rigoureuse. C’est vraiment mentalement que j’ai été étonnée de moi-même, car je sais que quand j’ai confiance en moi, je peux faire de très belles choses.

“Si on peut être une marche plus haute, voire deux…”
Audrey Zarif, pongiste française
Sur cette compétition, tu étais coachée par Carole Grundisch pour la première fois…
A.Z : Avant le mois de janvier, “mon ping” n’allait pas très bien. Aussi, j’ai eu des problèmes personnels, je voulais presque arrêter le tennis de table. Mon club de Joué-lès-Tours m’a conseillé de prendre Carole Grundisch (ancienne n°68 mondiale) en coach – d’ailleurs, elle travaille toujours avec moi – et notre duo est parfait. Je la connais depuis que je suis passée à Metz, lorsqu’elle était joueuse en Pro A. Mes premiers championnats du monde à mes 15 ans, à Tokyo, c’était avec Carole ! On se connaît très, très bien. Je ne me voyais pas donner ce travail à quelqu’un d’autre.
Avec ton club actuel, le TT Joué-lès-Tours, tu as aussi vécu une saison historique (victoire en Trophy Cup et demi-finale de Pro A). La saison 2022-2023 a-t-elle été un vrai déclic ?
A.Z : C’est vrai que cette année a été folle. Pour le club, la saison a été exceptionnelle. À titre personnel, avant janvier, j’avais de vrais doutes. Dans le ping féminin, on gagne très peu notre vie, c’est compliqué. Je n’avais vraiment pas de budget pour me permettre d’aller à l’international et cette saison a débouché sur plein de compétitions. J’ai vu que mon niveau de jeu était là. Je jouais de mieux en mieux, ça m’a redonné de l’espoir. Cette année, j’ai fait les championnats du monde et je vais faire les championnats d’Europe… (elle réfléchit) Et il y a les Jeux Olympiques dans dix mois, mais tout peut arriver ! Dans six mois, ça peut être une autre fille qui va très bien jouer. On le voit avec les “Lebrun“.
Tu faisais partie de l’équipe médaillée de bronze aux championnats d’Europe, en 2021 à Cluj (premier podium féminin européen depuis 1962). Que représente pour toi cette deuxième sélection ?
A.Z : C’est la continuité de mon année. Après les Mondiaux et les Jeux Européens, c’est encore une fierté de jouer avec le maillot de l’équipe de France. Là, j’espère vraiment avoir ma chance et pouvoir contribuer pour l’équipe. On a terminé troisièmes en 2021, mais on espère faire mieux. C’est l’objectif. Déjà, avoir une médaille et être sur le podium, mais si on peut être sur une marche plus haute, voire deux marches plus hautes, ce serait parfait.

Jia Nan Yuan devrait être la leader de cette équipe, mais derrière le niveau semble très homogène. Personnellement, quel rôle vas-tu avoir ?
A.Z : Mon rôle va dépendre du coach (Ludovic Rémy). En fonction de ce qu’il sent, le feeling, etc. Moi, je me sens prête. Je pense que mon rôle est important, je suis quelqu’un qui met de l’ambiance et qui est très solidaire. Il n’y a pas de concurrence malsaine, on s’entend toutes super bien. On est de générations différentes dans l’équipe, mais ça fait notre force. Jian Nan est d’une génération avant, moi au milieu et les deux jeunes (Prithika Pavade et Charlotte Lutz) sont les générations du futur.
À moins d’un an de Jeux Olympiques en France, on peut imaginer que les enjeux sont multiples. Quels sont-ils ?
A.Z : Que je sois prise à dix mois des JO, ça en dit déjà beaucoup. C’est très important pour moi d’être aux Europe. Je vais montrer le meilleur de moi-même, j’espère que j’aurai ma chance et ensuite, tout va dépendre de mes performances. Mon avenir est entre mes mains.
Si tu avais Audrey Zarif en face de toi, quelle question lui poserais-tu ?
A.Z : Oh là là ! Es-tu heureuse dans ta vie ? Et je répondrai oui.
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